Être parent de jeunes sportifs de haut niveau : un véritable défi
Noémie Lienhart
Maîtresse de conférences en psychologie du sport, laboratoire Motricité, Interactions, Performance (UR 4334), Nantes Université
Les adolescents qui s’investissent dans un processus de formation pour atteindre le haut niveau doivent faire face à de multiples exigences physiques, psychologiques et sociales. Pour trouver leur équilibre au sein de ce contexte contraignant, ils peuvent s’appuyer sur leur environnement social. Avec, en première ligne, les parents.
Les parents sont au centre de l’environnement social des sportifs. Leurs attentes, leurs connaissances, leurs expériences, leurs comportements, mais aussi la perception qu’en ont les jeunes sportifs sont autant de facteurs susceptibles d’influencer le développement et la performance de ces derniers. Pour optimiser l’investissement parental, les recherches en psychologie du sport ont éclairé certains aspects de cette mission unique et complexe : être un parent de jeunes sportifs de haut niveau. Elles montrent que pour optimiser l’investissement des parents, il est nécessaire que les organisations sportives intègrent cette composante dans leur approche.
Si les parents jouent un rôle primordial dans le développement des jeunes sportifs (Harwood et Knight, 2015), leur engagement et leur investissement peuvent s’avérer aussi bénéfiques que préjudiciables. Le tennis en particulier a été le théâtre de nombreux faits divers dont les médias se sont fait l’écho. André Agassi témoignait dans son autobiographie (Open, 2009) de sa relation singulière avec son père. Ce dernier, Emmanuel Agassi, explique :
« Les gens disent que j’ai poussé trop dur mes enfants, que je les ai presque détruits. Et vous savez quoi ? Ils ont raison. J’ai été trop dur avec eux. Leur faisant ressentir qu’ils n’en faisaient jamais assez. Mais après l’enfance que j’ai eue, combattant dans les débris en Iran, j’étais déterminé à donner à mes enfants une vie meilleure. Mal avisé comme j’ai été, j’ai poussé mes enfants parce que je les aime. » (Cobello et Agassi, 2004, p. 7)
En réponse aux nombreux témoignages et affaires médiatisées, les recherches en psychologie du sport se sont logiquement d’abord intéressées aux comportements parentaux dans le tennis. Ces dix dernières années, elles se sont développées et étendues à d’autres disciplines sportives. Différentes thématiques ont été explorées telles que les rôles assurés par les parents dans les expériences sportives de leur enfant, la façon dont les parents influencent les expériences sportives de leur enfant, les facteurs qui impactent l’investissement parental, et les stratégies pour améliorer l’investissement parental.
Quels sont les rôles assurés par les parents ?↑
Les parents jouent trois rôles principaux dans la pratique sportive de leur enfant (Fredricks et Eccles, 2004) :
- Rôle de modèle : une majorité de comportements est apprise à travers l’observation et l’imitation des « modèles » auxquels les individus sont confrontés dans leur environnement social (Bandura, 1986). Par exemple, si les parents sont physiquement actifs, il y a davantage de chance que leur enfant le soit également (Domingues et Gonçalves, 2013).
- Rôle d’interprétateur des expériences : les parents jouent un rôle de filtre interprétatif et contribuent ainsi au développement des valeurs que l’enfant attribue au sport (importance et intérêt accordés au sport) et au développement de sa perception de compétence (l’enfant se trouve-t-il doué en sport ?).
- Rôle de créateur d’expériences : les parents peuvent également créer ou façonner les expériences sportives de leur enfant. Ils peuvent par exemple l’emmener à un événement sportif et l’encourager à avoir une activité physique ou à suivre des événements sportifs télévisés.
En assurant ces trois rôles, les parents sont multitâches (Wolfenden et Holt, 2005). Ils apportent à leur enfant leur soutien émotionnel et affectif, en particulier pendant les matchs ou compétitions difficiles et les moments d’échecs. Ils offrent également un soutien financier important. Enfin, ils adaptent l’organisation du foyer familial au planning hebdomadaire des entraînements. Les week-ends, vacances et loisirs sont bien souvent consacrés aux stages ou tournois.
Plusieurs études ont montré l’importance des rôles endossés par les parents au début de la pratique sportive, mais également tout au long de la carrière (Wylleman, De Knop, Verdet et Cecic-Erpic, 2008) :
- Première phase d’investissement, au cours des années d’initiation (≈ 6 à 13 ans), les enfants découvrent différents sports. Les parents jouent un rôle essentiel en fournissant l’opportunité à leur enfant de pratiquer.
- Deuxième phase de l’investissement sportif, au cours des années de spécialisation (≈ 13 à 15 ans), le sportif choisit un ou deux sports et intensifie sa pratique. Les parents doivent alors apporter un soutien logistique (assurer les différents transports), financier (payer les entraînements, les équipements, les voyages lors des compétitions) et émotionnel (réconforter).
- Troisième phase de l’investissement sportif, au cours des années d’investissement (≈ à partir de 15 ans), le sportif augmente à nouveau son implication dans un sport. Bien souvent, il quitte le foyer familial. Le rôle des parents se situe essentiellement dans le soutien émotionnel. Les soutiens logistiques et financiers peuvent diminuer si le sportif est pris en charge par une organisation sportive (club, ligue, fédération).
Pour assurer ces différents rôles et permettre à leur enfant d’atteindre leur potentiel sportif, les parents doivent développer différentes compétences personnelles, interpersonnelles et organisationnelles (Harwood et Knight, 2015). Ainsi, être parent d’un jeune sportif de haut niveau est un véritable défi !
Les six compétences de l’expertise parentale – Être capable de… (Harwood et Knight, 2015)
- Développer et maintenir des relations saines avec les autrui significatifs (entraîneurs, autres parents, etc.).
- Proposer des opportunités variées de pratique sportive à son enfant et lui fournir les types de soutien nécessaires.
- Comprendre et appliquer un accompagnement soutenant l’autonomie de l’enfant, l’apprentissage et le plaisir.
- Gérer ses propres émotions lors des compétitions.
- Gérer les contraintes organisationnelles et le développement de l’enfant associés à la pratique.
- Adapter son investissement aux différentes phases de développement de l’enfant.
Comment les parents influencent-ils le développement de leur enfant ?↑
Le rôle des parents est essentiel pour le développement de l’enfant. Or, de nombreux exemples dans les médias montrent des comportements parentaux déviants. C’est le cas, en tennis, d’un père qui a été reconnu coupable de 27 tentatives d’empoisonnement à l’encontre des adversaires de son fils et de sa fille entre 2000 et 2003, histoire portée à l’écran sous le titre Terre battue en 2014. Au-delà de cet exemple extrême, selon des entraîneurs de tennis américains, 58,9 % des parents auraient une influence positive sur le développement de leur enfant, tandis que 35,9 % d’entre eux auraient une influence négative (Gould, Lauer, Rolo, Jannes et Pennisi, 2006). Les premières recherches, réalisées il y a quarante ans, se sont focalisées sur la quantité d’investissement des parents. Ces dix dernières années, l’accent a été porté sur la qualité de cet investissement parental, jugée plus importante. Ainsi, plusieurs études ont mesuré l’impact des comportements parentaux sur différentes variables psychosociales des sportifs.
Comportements « négatifs » ou « inadaptés »
Les dernières études soulignent l’impact négatif de la pression parentale, c’est-à-dire des comportements parentaux perçus par les sportifs « comme indiquant des attentes élevées, peu probables ou très certainement irréalisables » (Leff et Hoyle, 1995, p. 190). En effet, plus les sportifs perçoivent cette pression parentale, moins leurs besoins de compétence, d’autonomie et de proximité sociale sont satisfaits (Amado, Sánchez-Oliva, González-Ponce, Pulido-González et Sánchez-Miguel, 2015) et, par conséquent, plus ils pratiquent pour répondre à des pressions externes (punition) et/ou internes (la culpabilité ; Lienhart, Nicaise, Martinent, Guillet-Descas et Bois, 2019). Les comportements directifs qui contrôlent les jeunes dans leur sport semblent également être « inadaptés » à leur développement. C’est le cas, par exemple, des parents qui disent à leur enfant comment gérer leur match ou leur compétition.
Les besoins psychologiques fondamentaux
Selon la théorie des besoins psychologiques (Ryan, 1995), l’une des mini-théories de la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2000), tout individu possède trois besoins psychologiques fondamentaux qui sont essentiels à sa croissance psychologique et à son bien-être :
- Le besoin de compétence correspond au désir d’être efficace dans ses interactions avec l’environnement, d’exprimer ses capacités et de surmonter les défis (Deci, 1975). Il est satisfait lorsque le sportif sent qu’il progresse et qu’il est efficace dans son quotidien.
- Le besoin d’autonomie fait référence au désir d’être à l’origine de ses propres comportements plutôt que d’être un « pion » contrôlé par des forces extérieures (Deci et Ryan, 1985). Ainsi, ce besoin est satisfait lorsque le sportif pense être la source de ses comportements et peut prendre des décisions dans son quotidien.
- Le besoin de proximité sociale concerne le désir d’être connecté à d’autres personnes, de recevoir de l’attention de personnes importantes pour soi, et d’appartenir à un groupe social (Ryan, 1995). Il est satisfait lorsque le sportif se sent connecté à d’autres personnes qui sont importantes pour lui.
Comportements « positifs » ou « adaptés »
À l’inverse, le soutien parental, perçu comme des encouragements et de l’empathie, est associé à des conséquences positives. En effet, plus les sportifs perçoivent des encouragements et de la compréhension de la part de leurs parents, plus ils pratiquent par choix et ont une perception de compétence élevée (Harwood, Knight, Thrower et Berrow, 2019 ; Lienhart et al., 2019). De telles conséquences sont également observées lorsque les sportifs perçoivent un soutien à l’autonomie, c’est-à-dire qu’ils ont le sentiment que leurs parents leur laissent des choix et encouragent leur autorégulation. En effet, lorsque les adolescents (14 à 18 ans) perçoivent que leurs parents leur laissent l’opportunité de faire des choix et respectent leurs idées dans le contexte de leur pratique sportive, ils pratiquent davantage pour eux-mêmes et leur propre plaisir. C’est ce que l’on nomme la motivation autonome (Amorose, Anderson-Butcher, Newman, Fraina et Iachini, 2016).
Quelques travaux se sont intéressés à une approche plus globale en explorant l’influence d’un ensemble de comportements parentaux (Lienhart, Nicaise, Martinent et Guillet-Descas, 2020). Ils montrent notamment que pour des adolescents investis dans un double projet, en pôles espoir ou centres de formation, il est important que le duo parental ait un investissement approprié, c’est-à-dire que le père et la mère doivent utiliser très rarement des comportements directifs et de pression, mais souvent des comportements d’encouragement et de compréhension.
Les différences de perception de l’investissement parental
De nombreux facteurs sont susceptibles d’influencer la perception que les sportifs ont des comportements de leurs parents et, par la suite, les conséquences de ces comportements. Au cours de ma thèse, je me suis ainsi intéressée aux différences entre les perceptions des sportifs relatives aux comportements de leurs parents et ceux auto-déclarés par les parents eux-mêmes (Lienhart, 2018). Les données récoltées auprès d’adolescents (M = 14,72 ans) évoluant dans différents pôles espoirs et centres de formation montrent qu’ils perçoivent moins de comportements d’encouragement et de compréhension que ce que leurs parents déclarent et, qu’à l’inverse, ils perçoivent davantage de comportements directifs et de pression que ce que leurs parents rapportent.
Ces différences de perception peuvent avoir de nombreuses origines comme une divergence entre les objectifs que les parents se sont fixés pour leur enfant et les objectifs que les sportifs se sont donnés à eux-mêmes. La perception des sportifs peut également être influencée par le contexte dans lequel les parents ont adopté un tel comportement : avant, pendant ou après la compétition. Enfin, cette différence de perception peut dépendre de certaines caractéristiques spécifiques individuelles, telles que la perception des connaissances de leur parent, le sexe des parents et des enfants, et la qualité de la relation parent-enfant (Knight, Berrow et Harwood, 2017). Il semble important d’alerter les parents sur l’existence de ces différences de perception. En effet, un parent pensant proposer un accompagnement « adapté » à son enfant peut ne pas être perçu comme tel par ce dernier.
Pourquoi les parents n’ont-ils pas toujours un comportement « adapté » ?↑
Les recherches en psychologie du sport ont montré que l’investissement des parents n’était pas toujours « adapté ». Selon leurs expériences et leur connaissance du sport, les parents abordent le sport avec différents objectifs et différentes attentes pour leur enfant (Knight, Dorsch, Osai, Hardelie et Sellars, 2016). Ainsi, pour comprendre pourquoi les parents sont investis de manière « adaptée » ou « inadaptée », il faut d’abord explorer leurs objectifs, leurs expériences et leur passé (voir le témoignage d’Emmanuel Agassi en début d’article).
Nous avons également vu qu’être parent d’un jeune sportif de haut niveau est un véritable défi. Face aux demandes ou facteurs de stress rencontrés par leur enfant, beaucoup de parents ne savent pas comment répondre, notamment à leur demande de soutien (Hayward, Knight et Mellalieu, 2017). Les comportements parentaux « inadaptés » peuvent augmenter si les parents ne sont pas capables de gérer efficacement les demandes ou facteurs de stress qu’ils rencontrent eux-mêmes dans le projet sportif de leur enfant. Ainsi, plusieurs travaux ont exploré les demandes rencontrées par les parents. Ils montrent que les parents rencontrent tous des demandes ou facteurs de stress qu’ils jugent difficiles à gérer (Lienhart, Nicaise, Knight et Guillet-Descas, 2019). Ceux-ci se regroupent en quatre catégories :
- Les facteurs de stress organisationnels concernent les demandes liées à la santé des sportifs, aux organisations sportives, à la logistique et aux investissements personnels requis (p. ex., temps et argent ; Tableau 1).
- Les facteurs de stress développementaux comportent les demandes liées au futur de l’enfant, à son développement holistique, à son engagement dans les études, sa motivation au quotidien et ses interactions sociales (Tableau 2).
- Les facteurs de stress compétitifs englobent les exigences émotionnelles et les résultats associés aux compétitions auxquelles participent les enfants (Tableau 3).
- Les facteurs de stress personnels des parents regroupent les demandes liées au fait que l’enfant ne vit pas au quotidien dans le foyer familial, au soutien fourni par les parents et à leurs interactions avec les autres parents (Tableau 4).
Les tableaux 1 à 4 présentent les facteurs de stress identifiés auprès de 1 299 parents (529 pères, 761 mères, un représentant légal) ayant des adolescents (M = 16,01 ans) qui pratiquent des sports individuels (46 %) et collectifs (54 %) aux niveaux national et international (Lienhart, Nicaise, Knight et Guillet-Descas, 2019).
Thèmes | Sous-thèmes |
Santé | Blessures |
Fatigue de l’enfant | |
État de santé général (p. ex., répercussions du sport de haut niveau sur l’intégrité physique) | |
Dopage | |
Suivi médical | |
Fournir l’opportunité au sportif de réaliser son projet | Temps investi (p. ex., temps passé dans les transports) |
Investissement financier | |
Entraînement et encadrement | Emploi du temps |
Qualité des entraînements et de l’entraîneur | |
Tâches quotidiennes | Logistique |
Tâches de la vie courante (p. ex., lessives) | |
Tâches de gestion (p. ex., dossiers sponsors, préparation des équipements) | |
Organisations sportives | Communication (p. ex., manque de communication entre la structure sportive et les parents) |
Organisation (p. ex., horaires qui changent souvent ou qui sont connus au dernier moment) | |
Sélection |
Thèmes | Sous-thèmes |
Demandes du quotidien | Engagement dans les études (p. ex., nécessité de prendre des cours particuliers pour combler les lacunes liées aux absences) |
Motivation du sportif (p. ex., motivation pour aller s’entraîner) | |
Interactions des sportifs (p. ex., relations avec les coéquipiers lors du retour en club pour les jeunes évoluant en pôle espoir) | |
Développement de l’enfant | Futur (p. ex., délaisser les études) |
Développement holistique (p. ex., désintérêt pour les copains, la musique, la famille) |
Thèmes | Sous-thèmes |
Émotions et résultats | Gestion des émotions de l’enfant (p. ex., dans les périodes de doute) |
Résultats des compétitions (p. ex., le manque de résultat par rapport à l’investissement) | |
Regarder les compétitions | Regarder les compétitions (p. ex., gestion de l’inquiétude lors des matchs) |
Adversaires (p. ex., appréhension de le voir jouer contre des adultes) |
Thèmes | Sous-thèmes |
Relations et soutien | Distance avec la famille (p. ex., absence de l’enfant durant la semaine) |
Soutien approprié (p. ex., trouver le juste positionnement pour accompagner son enfant sans perturber sa pratique) | |
Interactions des parents (p. ex., jalousie des autres parents) |
Pour gérer ces demandes, les parents utilisent différentes ressources et stratégies, c’est-à-dire des expériences de coping. Ils les testent par eux-mêmes ou s’appuient sur leur enfant ou l’organisation sportive. Dans le cadre de cette étude (Lienhart, Nicaise, Knight et Guillet-Descas, 2019), des entretiens semi-directifs ont été réalisés avec seize parents (mères = 9, pères = 7) afin d’identifier concrètement ce qu’ils font.
- Ces parents d’adolescents (M = 16,7 ans) évoluant en structures fédérales (pôles espoirs, pôles France) essaient de se détacher du sport. Pour cela, ils partagent leurs responsabilités parentales (p. ex., se reposent sur l’expertise des professionnels) ou s’appuient sur la capacité de leur enfant à gérer la situation (p. ex., autonomie de l’enfant). Par exemple, une mère a expliqué que les difficultés qu’elle percevait à cause du temps passé sur les compétitions étaient réduites grâce à l’autonomie de son fils, qui lui permet d’aller en compétition sans solliciter ses parents :
« Il connaît suffisamment de noms, il est facile de contact, du coup il fait aussi beaucoup de choses pour nous soulager. Il contacte les adultes du club, “tu y vas, tu as une place dans ta voiture ?” Allez hop ! Il a tous les numéros. »
- Ils cherchent des informations dans leur environnement (p. ex., auprès du centre d’entraînement, de la fédération, des autres parents ou sur Internet) et s’appuient sur leurs propres expériences ou connaissances. Les parents utilisent ce type de stratégie proactive lorsqu’ils perçoivent un manque d’information de la part de l’organisation sportive ou des informations contradictoires. Par exemple, un père et son épouse ont utilisé leurs connaissances professionnelles pour gérer l’aspect nutritionnel lorsque leur enfant a reçu des informations contradictoires de la part de son centre d’entraînement :
« Un gros privilège, mon épouse est nutritionniste et moi-même je suis scientifique, on avait une base de connaissance en toute modestie et la capacité pour aller chercher les informations scientifiques au bon endroit, pour la lui donner et la lui traduire à notre façon. »
- Ils gèrent leurs réactions émotionnelles à l’aide de techniques de libération émotionnelle (p. ex., pleurs) ou en normalisant les expériences qu’ils vivent (p. ex., réévaluation de la situation pour la considérer comme étant « normale »).
- Ils utilisent eux-mêmes des stratégies d’évitement (p. ex., ne vont pas voir leur enfant en compétition) ou encouragent leur enfant à éviter certaines situations.
- Ils essaient de changer la situation en demandant aux personnes de leur environnement de changer leurs comportements et/ou pratiques (p. ex., demande à l’organisation sportive de changer le planning d’entraînement) ou en apportant eux-mêmes une solution (p. ex., achat d’une voiture ou location d’un appartement).
- Ils fournissent une aide à leur enfant en leur apportant un soutien émotionnel et en étant présents. Un père a expliqué comment il soutenait son fils après une défaite :
« Ce que j’ai toujours appris et ce que j’essaie de lui inculquer, c’est qu’une défaite n’est qu’une étape dans la progression, ce n’est pas une fin en soi, et de toujours trouver du positif dans ce qu’il a fait, tu as fait des choses bien. […] Moi en tant que parent, je suis son seul soutien. […] Je suis plutôt dans une approche positive et j’essaie de lui apporter, toujours du plus, et jamais du moins. »
Ces expériences de coping utilisées par les parents semblent être plus ou moins efficaces selon les situations. Par conséquent, il est important que des interventions à destination des parents soient mises en place afin de les aider à gérer au mieux les facteurs de stress qu’ils rencontrent au quotidien dans le projet de leur enfant. Un travail pourrait également être réalisé auprès des organisations sportives et des sportifs puisqu’ils peuvent être à la fois une source de stress pour les parents (p. ex., manque de communication) et une ressource pour gérer ces demandes (p. ex., demande de changement de planning). La mise en place d’une communication régulière entre les parents et les entraîneurs permettrait d’optimiser l’accès aux informations dont les parents ont besoin pour soutenir les sportifs lors de leur enfance et adolescence (Kramers, Thrower, Steptoe et Harwood, 2022).
Comment aider les parents à mieux accompagner leur enfant ?↑
L’ensemble des travaux entrepris depuis plusieurs années ont donné diverses pistes pour améliorer l’investissement parental. Plusieurs organisations sportives ont déjà essayé d’intégrer certaines stratégies, politiques ou pratiques. Cependant, très peu d’entre elles sont fondées sur des preuves scientifiques. Depuis 2017, quelques interventions ont été mises en place et leur efficacité a été testée scientifiquement (voir encadré). Les cinq idées suivantes peuvent être mises en place par les organisations sportives et leur staff afin d’optimiser l’accompagnement des parents et par conséquent l’expérience des sportifs qu’ils encadrent.
Idée no 1 : Intégrer les parents au sein du projet global du sportif
Les parents impactent les expériences de leur enfant tout au long de leur carrière sportive. Globalement, ils sont tous bien intentionnés. Toutefois, ils ne sont pas experts. Ils ont besoin d’informations et de formations pour appréhender un monde qu’ils découvrent bien souvent en même temps que leur enfant. Ainsi, il paraît indispensable que les structures sportives travaillent de façon proactive avec les parents au lieu de les tenir à l’écart (Harwood, Knight, Thrower et Berrow, 2019). Ce travail devrait être réalisé dès le début de l’investissement de l’enfant, mais également tout au long de sa carrière sportive, car les rôles des parents et l’environnement dans lequel ils se développent sont en constante évolution. Le simple fait de montrer aux parents qu’ils sont considérés comme partie prenante du projet de leur enfant diminuera certaines de leurs inquiétudes et optimisera leur investissement.
Un exemple d’intervention pour accompagner les parents
Noémie Lienhart et Virginie Nicaise ont réalisé un programme d’intervention (2017-2018) pour les parents au sein de sept pôles espoirs ou centres de formation en sports collectifs (basket-ball, football et handball) de la région Rhône-Alpes (Menfants = 14,39 ans ; Lienhart, 2018). Ce programme comportait deux ateliers et un guide illustré intitulé Accompagner son enfant dans son double projet sportif et scolaire. Les deux principaux objectifs de ce programme étaient (a) de fournir l’opportunité aux parents d’échanger entre eux et (b) de les amener à développer un environnement soutenant l’autonomie, la compétence et la proximité sociale de leur enfant. Chaque atelier contenait quelques courtes présentations théoriques, mais la majeure partie du temps était réservée à des activités effectuées en petit groupe (3 à 4 personnes).
Le guide proposé aux parents comportait cinq sections : (1) les raisons pour lesquelles les jeunes pratiquent et abandonnent un sport ; (2) les comportements parentaux désirés et non désirés par les sportifs en compétition ; (3) la communication parent-enfant permettant de satisfaire les besoins d’autonomie, de compétence et de proximité sociale ; (4) la communication avec l’encadrement sportif, scolaire et médical ; et (5) des références scientifiques permettant aux parents qui le souhaitent d’approfondir leurs connaissances.
L’évaluation de ce programme d’intervention montre que les parents ont apprécié tous les échanges qu’ils ont pu avoir entre eux, car cela leur a permis de faire connaissance et de partager leurs expériences et/ou inquiétudes. Ils ont pu élargir leurs connaissances sur la communication, les comportements « adaptés » et « inadaptés » au développement du sportif, et sur les moyens qu’ils peuvent utiliser pour modifier leurs comportements. Cependant, un mois après l’intervention, les sportifs n’avaient encore perçu aucun changement dans les comportements de leurs parents. Ce constat montre l’intérêt d’intervenir auprès des parents dès le début de la pratique sportive de leur enfant et de façon régulière.
Ateliers | Objectifs | Connaissances | Activités |
1 | (1) Identifier la place et les rôles de chaque acteur dans le double projet de l’enfant
(2) Comprendre l’influence que les comportements des parents peuvent avoir sur les enfants |
Présentation du programme d’accompagnement Les différents acteurs du double projet L’influence de l’environnement social sur différentes variables de l’enfant (Théorie de l’autodétermination) Les comportements parentaux qui favorisent et menacent le besoin d’autonomie, de compétence et de proximité sociale |
Activité 1 en groupe : Rôles/Tâches assurés par chaque acteur du double projet Activité 2 en groupe : Compétences nécessaires pour réaliser les rôles et tâches attribués aux parents Activité 3 en groupe : Réflexion sur les répercussions éventuelles de différents comportements parentaux à partir de scénarios. Exemple : « Durant un match, une mère gère ses mails sur son téléphone et ne regarde jamais le match. À chaque fois que sa fille la regarde, elle la voit, tête baissée sur son smartphone. » |
2 | (1) Comprendre les antécédents des comportements parentaux (2) Utiliser des comportements soutenant le besoin d’autonomie, de compétence et de proximité sociale de l’enfant |
Les antécédents des comportements Les comportements parentaux positifs et négatifs en compétition Les différences de perception parent vs enfant | Activité 1 individuelle : Identification des comportements verbaux et non verbaux de parents filmés lors d’une compétition de leur enfant Activité 2 en groupe : Identifier les émotions et objectifs associés aux comportements relevés dans l’activité 1 Activité 3 en groupe : Les comportements à adopter pour soutenir le besoin d’autonomie, de compétence, et de proximité sociale de l’enfant à partir de scénarios. Exemple : « Sur la route du retour d’un match perdu à la dernière minute de jeu, votre enfant vous dit : “j’ai vraiment été nul/le”, comment réagissez-vous ? » |
Idée no 2 : Accompagner les parents
En intégrant les parents au sein du projet du sportif, il convient de proposer des temps d’accompagnement qui leur sont dédiés. Cet accompagnement peut être réalisé en combinant différents types de supports : ateliers en présentiel, ateliers en ligne et ressources imprimées ou électroniques. Ces supports devraient permettre aux parents de réfléchir sur leurs rôles et sur l’influence qu’ils peuvent avoir sur le développement de leur enfant. C'est par exemple le cas de la plateforme en ligne EMPATIA créée dans le cadre d'un projet ERASMUS + dont l'INSEP est partenaire. Une fois cette réflexion réalisée, un travail sur les stratégies pour faire face aux demandes qu’ils rencontrent dans le projet sportif de leur enfant pourrait être engagé.
Idée no 3 : Donner l’opportunité aux parents d’échanger entre eux
L’accompagnement des parents passe par la réalisation de ressources et d’ateliers qui leur sont destinés. Cependant, il doit également intégrer des temps d’échanges entre pairs, c’est-à-dire entre parents. Cela peut se faire lors de rassemblements ou par la mise en place d’un réseau de communication. Les recherches interventionnelles montrent l’importance des discussions informelles dans le processus d’apprentissage (Thrower, Harwood et Spray, 2017) et dans la sociabilisation des parents au sein des structures sportives de haut niveau.
Idée no 4 : Inciter les parents à échanger avec leur enfant
Plusieurs facteurs, notamment personnels, sont susceptibles d’influencer la perception des comportements parentaux et, par la suite, les conséquences de ces comportements sur les sportifs. La différence observée entre les perceptions des enfants et celles de leurs parents apporte également des éléments à prendre en compte pour aider les parents à optimiser leur investissement. Tout d’abord, il est nécessaire de les alerter sur l’existence de ce décalage de perceptions, car un parent faisant l’effort d’encourager et soutenir son enfant pourrait ne pas être perçu de cette façon par ce dernier. Par la suite, prenant en compte la singularité de chaque relation parent-enfant, il est important d’organiser des temps d’échanges entre eux. Ils devraient permettre aux parents et aux enfants d’exprimer leurs sentiments et ainsi limiter les différences de perceptions.
Idée no 5 : Former les dirigeants et les entraîneurs
Les messages transmis au cours des temps dédiés à l’accompagnement des parents seront efficaces uniquement s’ils sont en accord avec ceux transmis et mis en place par la structure sportive au quotidien. Ainsi, il paraît indispensable que les dirigeants et entraîneurs soient formés pour développer des compétences en termes d’accompagnement des parents, mais également pour établir une relation entraîneur-parent saine. La mise en place de formations initiales et continues devrait permettre d’identifier la stratégie globale à adopter pour intégrer les parents au projet, d’uniformiser les connaissances sur leurs rôles, et d’apporter aux entraîneurs des compétences pour développer une relation entraîneur-parent de qualité. Plusieurs travaux ont mis en évidence l’importance de la communication entre les entraîneurs et les parents (p. ex, Kramers et al., 2022 ; Maurice, Devonport et Knight, 2021). Plus ces deux protagonistes interagissent, plus les informations liées au projet de l’enfant seront partagées, et plus les messages transmis aux sportifs pourront être cohérents. Ces interactions peuvent également donner l’opportunité à chacun d’apprendre à connaître l’autre. Par conséquent, il convient d’organiser l’environnement afin d’offrir régulièrement la possibilité aux parents et aux entraîneurs de s’engager les uns avec les autres.
Conclusion : l’accompagnement des parents pour améliorer le développement des sportifs ?↑
Les rôles des parents sont multiples dans la carrière d’un sportif de haut niveau. Ils ont un impact avéré sur le développement de leur enfant et leur équilibre. Cependant, les recherches en psychologie du sport montrent également que l’implication des parents dans le projet sportif de leur enfant est une démarche complexe et personnelle. Ainsi, différents moyens peuvent être utilisés pour soutenir les parents. Différentes études interventionnelles ont prouvé les bienfaits de la mise en place d’un programme d’accompagnement destiné aux parents.
N’oubliez pas, chaque parent est différent. Chaque parent a un niveau différent de connaissance de la pratique sportive. Chaque parent poursuit des objectifs singuliers à travers la pratique sportive de son enfant. Chaque parent est plus ou moins capable de gérer ses émotions et les différents rôles qui lui incombent.
Bibliographie
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