Vers le déploiement de la dimension mentale dans le sport de haut niveau français
Thierry Dumaine
Adjoint au chef du pôle performance, INSEP
Anaëlle Malherbe
Psychologue et préparatrice mentale, Unité accompagnement à la performance, INSEP
Développer une vision et un langage communs, permettre la continuité du suivi des athlètes au cours de leur carrière, éduquer et former, tels sont les enjeux du déploiement de la dimension mentale dans le sport de haut niveau. Depuis 2019, le réseau grand INSEP mène un travail structurant en direction des athlètes, des intervenants, des entraîneurs et des staffs. Une dynamique nationale qui associe les établissements du réseau et qui a vocation à irriguer l’ensemble de l’écosystème du sport français.
Le réseau grand INSEP a publié en avril 2023 la deuxième édition du livret « Accompagner le déploiement de la dimension mentale dans le sport de haut niveau », une version enrichie d’annexes et de cas pratiques. Ce travail collaboratif, débuté fin 2019, a réuni 49 contributeurs représentatifs des différents champs de la dimension mentale : psychologie clinique, recherche en psychologie du sport, préparation mentale, coaching, formation et pilotage de la performance. Il a permis à des personnes exerçant dans différents établissements sur le territoire national, internes ou externes, d’échanger pour développer une vision partagée de la dimension mentale et proposer des outils pour son déploiement.
Déployer la dimension mentale, c’est agir en direction des athlètes, des entraîneurs et de tout l’environnement sportif, notamment par la formation. C’est pourquoi trois axes structurent le livret, chacun ayant fait l’objet d’un groupe de travail. Le socle commun d’éducation à la dimension mentale, plutôt destiné aux intervenants du domaine, propose une approche progressive (découverte, développement, perfectionnement) de trois champs de compétences : psychosociales, émotionnelles et cognitives. Les compétences psychosociales concernent la gestion de l’entourage (sportif et non sportif), la communication, l’identité sportive et l’appartenance sociale, c’est-à-dire les compétences sociales en lien avec un groupe social, quel que soit son contexte. Les compétences émotionnelles correspondent à la gestion des émotions, leur identification, compréhension et régulation, chez soi comme chez les autres. Enfin, les compétences cognitives regroupent la confiance en soi, la motivation et la concentration.
Plutôt à destination des formateurs, le deuxième axe intitulé « Formation des entraîneurs à la dimension mentale » propose des outils et a l’ambition d’orienter les professionnels de la formation en fonction des besoins identifiés ou exprimés par les entraîneurs. Six domaines de compétences des entraîneurs structurent la démarche : j’imagine, je crée, je m’engage, j’organise, j’agis, je régule.
Les auteurs résument le troisième axe, « Les Labs de la Performance », en une formule : « Des pratiques partagées pour une performance augmentée. » À destination des entraîneurs et des staffs, il s’agit de proposer un cadre d’intervention et des modalités d’échanges entre pairs, pour que les participants se nourrissent du partage de leurs expériences.
Thierry Dumaine et Anaëlle Malherbe ont activement participé aux travaux qui ont abouti à la publication du livret. Ils nous expliquent la démarche qui a été entreprise, ses enjeux et les actions qui devraient en découler. L’occasion d’aborder la place qu’occupe actuellement la dimension mentale dans le sport de haut niveau, les dynamiques à l’œuvre, les représentations des acteurs et son articulation avec les autres composantes de la performance sportive.
Thierry Dumaine : « L’enjeu est d’individualiser les démarches »↑
Ancien entraîneur national de rugby à XIII et actuellement adjoint au chef du pôle performance de l’INSEP, Thierry Dumaine coordonne les accompagnements des staffs et des athlètes dans leur projet de performance. Sa position, à l’interface entre les différents professionnels du sport de haut niveau, lui confère une excellente vision de l'ensemble des composantes de la performance sportive en lien avec les besoins du terrain. Il participe au pilotage du groupe « Dimension mentale » du réseau grand INSEP. Son regard permet de mettre en perspective le travail réalisé dans une approche globale de l’accompagnement des sportifs.
Vous avez participé au pilotage stratégique du travail qui a abouti à la publication du livret « Accompagner le déploiement de la dimension mentale dans le sport de haut niveau ». Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru ?
Je suis admiratif du travail qui a été réalisé, notamment à travers la deuxième édition. C’est un travail abouti, qui a commencé en novembre 2019, juste avant la Covid. Il a démarré sur l’idée que la dimension mentale s’inscrivait dans la démarche de suivi des athlètes construite par le pôle performance de l’INSEP. La première brique, que je pilotais à l’époque, concernait la dimension physique. Pour nous, il est apparu comme une évidence qu’il fallait aussi se pencher sur la dimension mentale. La première réunion a réuni près de 70 personnes venant de tous les champs de la dimension mentale : psychiatres, psychologues, psychologues cliniciens, coachs, coachs de vie. Ce que j’ai vraiment apprécié, c’est l’engagement, l’engouement et surtout la ténacité, malgré la Covid, notamment des pilotes, Anaëlle Malherbe et Olivier Guidi, mais aussi des pilotes de chaque groupe. D’une part donc cette ténacité, mais aussi la vision partagée par tous de s’inscrire dans une démarche nationale. Pendant quatre ou cinq mois, il s’agissait d’un travail de réglage, sur des détails très fins. Cela a abouti à un document à destination de tous les encadrants, de tous les experts du domaine, pour construire une démarche commune sur l’ensemble du territoire, qui va certainement continuer à évoluer au fil du temps. D’autre part, dans le cadre du suivi à long terme des athlètes, nous savons pertinemment que les athlètes passent d’une structure à l’autre tout au long de leur carrière. Ce travail était donc le moyen, au même titre que pour la dimension physique, d’avoir un socle commun pour qu’il y ait un suivi de structure en structure, qu’il y ait une information et du lien entre les intervenants. L’objectif est d’éviter de répéter les mêmes choses et plutôt de construire par rapport à ce qui a été fait pour permettre un meilleur chemin de performance pour les athlètes. Enfin, ce travail a été réalisé sur la base du volontariat. Les personnes impliquées n’ont pas le même statut : certaines sont prestataires, à leur compte, certaines sont employées par les CREPS. Je remercie donc également les chefs d’établissement qui ont donné du temps à leur agent pour participer à la production de ce document.
Sur la question du passage de structure en structure, on retrouve le principe, dans la première partie du livret, de fonctionner selon trois niveaux : découverte, développement, perfectionnement…
Oui, c’est l’idée que partout sur le territoire, on peut commencer à travailler sur les habiletés mentales des sportifs, que les entraîneurs sont les premiers en contact avec les sportifs, et qu’il est important de leur permettre d’avoir quelques outils pour consciemment travailler de ce point de vue. C’est aussi l’idée qu’il peut y avoir en région un pôle espoir avec un athlète qui, par son cheminement, va aller jusqu’aux Jeux olympiques. Il s’agit donc de créer un continuum adapté et individualisé au fil du temps.
Le deuxième et le troisième axe du livret concernent plutôt les entraîneurs (et les formateurs) : quelle est la relation à la dimension mentale des entraîneurs avec lesquels vous travaillez ?
En ce qui concerne les entraîneurs qui exercent à l’INSEP, je constate une évolution importante depuis mon arrivée il y a cinq ans. Très factuellement, aujourd’hui, environ 75 % des entraîneurs ont fait eux-mêmes des demandes pour être accompagnés en termes de coaching. Pour moi, le fait de l’accepter, de le mettre en place pour eux-mêmes, c’est le signe de l’avoir intégré dans le projet de performance, non pas comme un élément supplémentaire mais comme un élément de la performance, pour eux comme pour leurs athlètes. Pendant cinq ans, j’ai vraiment vu une évolution. Certes, nous en sommes aux prémices. Il y a beaucoup de personnes sur le marché, la réglementation n’est pas tout à fait fixée, mais il y a quand même des dispositifs, des fédérations qui s’organisent pour accréditer certaines personnes. Au sein de l’établissement, il existe le label APPI, qui est mis en place pour donner certaines garanties en termes d’éthique et de compétences pour l’accompagnement des staffs et des athlètes. C’est quelque chose qui est donc en cours de structuration. Par exemple, la Fédération française de natation a engagé une intervenante pour chapeauter la dimension mentale, et sur chacune des disciplines (plongeon, natation de vitesse, natation course, natation artistique, water-polo) ils ont dédié une personne pour l’accompagnement des athlètes dans le projet olympique. D’autres fédérations comme la Fédération française de ski font passer des accréditations et rencontrent les professionnels, leur donnent le droit d’accompagner certains niveaux d’athlètes. Au niveau de l’établissement et des pôles résidents, il y a une très grosse évolution et acceptation. De mon point de vue, un cap a été franchi depuis les cinq dernières années. Au niveau national, je me rends compte, en échangeant avec les collègues, qu’il y a des sollicitations et que c’est de plus en plus assumé. Bien sûr, cela peut être du soin, mais aussi de l’optimisation de la performance. C’est en train de rentrer dans les mœurs : la dimension mentale ne concerne pas que les gens qui ont des problèmes, c’est aussi pour celles et ceux qui ont envie d’améliorer leurs performances, au même titre qu’on irait chercher un préparateur physique, un professionnel de la nutrition ou du sommeil, parce que cela fait partie des paramètres de la performance.
Certaines fédérations ont donc déjà mis en place des choses. Existe-t-il des freins dans certaines disciplines ?
À mon sens, à ce jour, il n’y en a plus. Quelles que soient les disciplines, c’est intégré, la dimension mentale fait partie du projet de performance. La question est désormais, et les années vont permettre cela : comment les entraîneurs vont-ils avoir de plus en plus d’outils, pas pour remplacer l’expert, mais pour avoir des clés de compréhension, pour permettre de déclencher plus vite auprès des athlètes et de mieux communiquer. L’idée n’est donc pas que l’entraîneur fasse tout, mais qu’il ait quelques outils parce que dans sa relation de tous les jours, il y a peut-être des écueils à éviter, des connaissances à avoir. Je trouve que dans le livret, il y a matière pour s’améliorer de ce point de vue.
L’un des objectifs du travail engagé était de construire une vision commune de la dimension mentale. Comment cela s’est-il passé ?
En tant que pilote et animateur, je dirais que les deux premières réunions ont réellement permis cela. Un de mes rôles était d’être gardien de la philosophie générale, parce que je ne suis pas du tout un expert de la dimension mentale. De mon point de vue, cela n’a pas été un problème. J’ai trouvé les personnes relativement ouvertes, engagées, avec une grande envie de participer à ce travail. Nous ne sommes pas partis de rien. Des travaux avaient été menés auparavant, des expériences avaient été vécues et ont permis d’éviter certains écueils et de travailler sur des axes. Je pense que ce qui a aussi séduit et engagé les participants, c’est que concernant les thèmes, nous sommes partis de zéro. Nous avons fait un réel travail de co-construction. Lors du premier séminaire, j’avoue que je n’avais aucune idée des thèmes qui pourraient être choisis, de la direction que cela allait prendre. J’étais juste le garant de l’idée qu’il était nécessaire d’avoir une réflexion sur la dimension mentale, au même titre que la dimension physique et que les autres composantes de la performance, et que l’on puisse la proposer au niveau national pour permettre un continuum dans les projets et les rêves de performance des athlètes.
Comment résumeriez-vous cette vision commune ?
Ce serait que les athlètes apprennent à mieux se connaître. La dimension mentale permet cela. Aussi de performer dans de meilleures conditions. Et surtout, notre vision est d’essayer de rendre les acteurs de la performance autonomes. Autonomie dans le sens où le fait de bien se connaître ou de mieux se connaître permet de mieux identifier les besoins en vue de produire une performance.
Dès l’introduction du livret, il est question de triple projet et non plus de double projet, le projet personnel s’ajoutant au projet professionnel et au projet de performance.
Personnellement, je parlerais simplement d’un projet de vie. Bien que ces trois piliers existent, quand on dit double projet ou triple projet, l’image qui me vient est celle d’un millefeuille. Le système impose aux athlètes de tout faire en même temps, de tout mener de front. Pour nous, il s’agit de considérer que dans le temps, il peut y avoir des priorités sur l’un des trois pans pour que l’athlète puisse aller au bout de son projet de performance et de vie.
Comment voyez-vous l’intégration de la dimension mentale dans l’ensemble de l’accompagnement des sportifs ?
Pour moi, c’est une composante de la performance. Au même titre qu’on va chercher un médecin pour des soins, un préparateur physique pour optimiser cet aspect, les athlètes viennent chercher des experts pour optimiser leurs habiletés mentales. Par conséquent, sa place est presque égale à celle des autres composantes. Je n’ai pas envie de dire que le mental est plus important que le physique. Pourquoi ? Parce que selon moi, l’enjeu est d’individualiser les démarches et de parler de projet de performance individuel. En fonction des disciplines, des contextes personnels, du vécu, cette composante va être plus ou moins importante. De mon point de vue, l’important était qu’elle entre dans les mœurs, dans les ressources identifiées par les staffs et les athlètes pour les projets de performance. Et ça aujourd’hui, c’est fait. Les gens ne font plus qu’en parler, ils agissent. Il y a eu une période où on en parlait et où il y avait toujours des craintes, mais ces craintes sont levées.
Vous disiez que certaines fédérations ont intégré des préparateurs mentaux ou psychologues dans leurs équipes. Qu’en est-il dans les CREPS ?
Je pense ne pas trop m’avancer en disant qu’il y a des experts de la dimension mentale dans tous les centres en région, soit dans les CREPS, soit au niveau des maisons régionales de la performance. Ils font partie des staffs. Nationalement, au sein des centres du réseau grand INSEP, il y a des personnes avec des profils différents. Dans les CREPS ils sont à mon avis en majorité psychologues, avec une double valence psychologie et préparation mentale. Je pense qu’il y a également des coachs et des experts de la dimension mentale qui interviennent soit avec un statut de prestataire, soit en contrat.
Qu’en est-il dans le sport professionnel ?
Je sais qu’au football, dans les clubs de Ligue 1, ce sont des personnes qui ont intégré les staffs. Je pense que c’est aussi en fonction du niveau de professionnalisation et de maturité des compétitions sportives. Pour moi, c’est intégré à titre individuel ou à titre collectif. Dans les clubs de football, il y a des experts qui sont employés en qualité de staff. Certes, ils ont des missions différentes, mais cela correspond aux besoins des staffs. En rugby aussi. Cette semaine [avril 2023], il y avait un entretien avec Antoine Dupont qui témoignait du fait que la dimension mentale était très importante. La fédération de rugby a un expert, Mickaël Campo. Ils ont mis en place des process, des protocoles pour l’équipe de France, mais aussi pour les équipes de France. De mon point de vue, cette dimension s’entraîne au même titre que le reste. Au-delà de s’entraîner, elle s’éduque.
Les fédérations s’organisent autour de la dimension mentale
Plusieurs fédérations ont mis en place des actions structurantes. La Fédération française de rugby a créé le pôle Préparation mentale et accompagnement des staffs (PMAS) en 2020. Fruit d’un long cheminement, le pôle propose une accréditation pour les intervenants en dimension mentale et agit selon plusieurs axes, dont la formation des entraîneurs et des staffs, la structuration de la préparation mentale au sein des fillières fédérales ou encore la recherche en psychologie du sport.
La Fédération française de tennis a fait du mental l’objet de sa campagne de communication 2023, avec un slogan : « Le mental est un muscle, le tennis est son sport ». La fédération a également créé en 2022 un pôle « Dimension mentale et psychologique » dont l'action est dirigée à la fois vers les territoires et le haut niveau.
D'autres, comme les fédérations françaises de ski et de natation, ont fait de cette thématique un enjeu important, tant du point de vue du bien-être des athlètes que du développement des habiletés mentales.
On voit bien dans le livret qu’au-delà de l’entraînement des habiletés mentales, il y a également la communication, le contexte social, la famille, l’entourage…
Et la relation entraîneur-athlète qui est très importante. La posture de l’entraîneur est de mon point de vue un axe primordial. Je pense qu’il serait opportun que tous les entraîneurs qui entrent au moins sur des projets olympiques puissent avoir un accompagnement sur la prise de fonction. Il ne s’agit pas d’apprentissage ou d’expertise d’entraînement, mais de leur permettre consciemment de savoir pourquoi ils sont entrés dans ce projet, ce qu’ils viennent y chercher, pour éviter que lors de moments de tension, cela puisse déteindre sur les athlètes. Pour moi, cela fait partie d’un projet beaucoup plus global et national.
On entend souvent que la France n’est pas très avancée sur la dimension mentale. Qu’est-ce qui pourrait l’expliquer ?
Je pense qu’il ne peut pas y avoir qu’un facteur. Je peux proposer quelques pistes. Si on prend ne serait-ce que les formations, diplôme d’État, diplôme d’État supérieur, je pense que la place de la dimension mentale ou de la relation entraîneur-athlète est peut-être à revoir. Dans le cadre du passage d’athlète à entraîneur, même s’il y a des formations, l’accompagnement à la posture pourrait permettre de poser quelques bases. Je considère néanmoins que la France n’est plus en retard. Il existe un livret au niveau national qui va permettre d’harmoniser les pratiques et les intentions pour les experts, les entraîneurs et les formateurs. Deux psychologues, Cécilia Delage et Anaëlle Malherbe, ont participé aux Jeux olympiques d’hiver de Pékin. Je trouve que c’est plutôt organisé au niveau des territoires. Les maisons régionales de la performance, avec des experts en région, peuvent avoir la même action. À l’INSEP, nous avons beaucoup de ressources. Quatre personnes au pôle performance, les coachs APPI que nous pouvons solliciter pour accompagner les entraîneurs, plus les professionnels du pôle médical, qui ont une valence davantage orientée vers le soin. Au sein de l’INSEP, cela fait au moins sept ou huit personnes, entre le pôle performance et le pôle médical, plus quatre ou cinq coachs du pôle formation. Nous avons une offre qui représente tout le panel de la dimension mentale et qui permet, je pense, d'apporter une réponse efficace et rapide aux sollicitations.
Un athlète peut également faire le choix d’avoir son propre préparateur mental.
Ce que je constate de plus en plus, c’est que les entraîneurs, en tout cas en ce qui concerne l’optimisation de la performance, le partagent avec les athlètes, car ce sont souvent les entraîneurs qui me font la demande. Je reçois donc les athlètes pour un entretien, pour savoir vers qui je vais orienter la personne. J’ai eu des demandes par des entraîneurs INSEP de ne pas avoir quelqu’un qui est dans l’établissement, car c’est une démarche personnelle, qui peut faire appel à l’intime, et il faut savoir respecter cela. Si un athlète va chercher une ressource à l’extérieur, c’est son choix. Je suis vigilant, quand je discute avec les entraîneurs, à la façon dont ils intègrent les accompagnateurs dans leur paysage : est-ce qu’ils prennent rendez-vous avec eux, parce qu’il y a quand même un minimum d’échange qui peut se faire sans trahir la confidentialité. Il s’agit donc de voir comment eux l’intègrent. Le plus gros danger serait que quelqu’un fasse un travail totalement déconnecté de l’entraîneur. C’est un peu comme tout, dans certains cas, cela peut créer de la performance, dans d’autres, cela peut créer de la friction. En ce qui concerne les accompagnements qui sont faits à l’INSEP et qui passent par le pôle performance, objectivement j’ai plutôt de bons retours, que ce soit des staffs ou des athlètes. Ils se sentent en confiance, écoutés, et les intervenants répondent à leurs besoins.
Concrètement, comment se met en place un accompagnement à l’INSEP, est-ce que la demande vient des athlètes ou des entraîneurs ?
Les deux, et là je parle vraiment du côté optimisation. Il peut y avoir des athlètes qui vont directement au pôle médical, et là ça concerne plutôt un côté clinique. Pour de l’optimisation de la performance, si un athlète me contacte directement pour un accompagnement sur la dimension mentale, cela fait partie de l’entretien de savoir si elle ou il a prévenu son entraîneur. Souvent, ce sont les entraîneurs qui donnent mes coordonnées. C’est la procédure que nous avons souhaité mettre en place. J’ai la sensation que tout le monde s’y retrouve, il n’y a pas de freins.
La dimension mentale se déploie-t-elle de la même manière selon les sports, collectifs ou individuels par exemple ? Est-ce que cela peut être plus ou moins facile, ou bien on en attend plus ou moins ?
Le sport, l’histoire et la culture de la discipline jouent certainement. Mais il me semble que cela s’est démocratisé, c’est devenu normal. Il n’y a pas si longtemps, il y a encore deux ou trois ans, certains athlètes le cachaient à leur entraîneur, ou mes collègues n’étaient pas autorisés à venir sur les sites de compétition, mais cela s’est vraiment régulé, dans le sens positif. Actuellement, on peut très bien avoir un nageur, un haltérophile, un judoka, un lutteur, quelqu’un sur le tir à l’arc. C’est une des évolutions les plus importantes que j’ai notées depuis mon arrivée à l’INSEP en 2018.
Est-ce que les représentations des entraîneurs changent également ? Il peut y avoir des craintes concernant l’éthique des intervenants…
Plus les entraîneurs intégreront les experts de la dimension mentale dans leur staff, plus ils saisiront l’opportunité. Sur la question de l’éthique, pour moi, on peut être préparateur physique et avoir une posture de gourou, être nutritionniste et avoir une posture de gourou, être entraîneur et avoir une posture de gourou. À travers le label APPI, il s’agit justement de proposer des personnes qui ont une certaine éthique, et en ce qui concerne les intervenants de l’INSEP, je n’ai aucune inquiétude. Ce sont des gens qui sont supervisés dans leur pratique. Cela fait partie de leur cursus, au fil des années ils sont supervisés pour échanger sur leur posture, sur leur façon de faire. Je ne suis pas expert de la dimension mentale, je suis entraîneur à l’origine, et je peux comprendre et entendre les inquiétudes. Une partie de la journée, je suis sur les pôles, en contact avec les entraîneurs, pour justement avoir leurs retours, les questionner, quel que soit le secteur. Nous avons une cellule d’accompagnement de la performance et les laboratoires, nous agissons à 360 degrés et, en fonction des accompagnements, je suis assez vigilant, quelles que soient les personnes qui accompagnent.
La dimension mentale n’a pas le monopole du risque…
Exactement, d’autant plus que les Jeux à Paris sont quand même très attirants pour tout le monde. Pour moi, il n’y a pas plus de vigilance à avoir sur ce secteur-là que sur d’autres. L’intention est donc de mettre tous les aspects sur le même plan, en fonction du sport et de l’expérience. Automatiquement, dans les indicateurs clés de performance, certains items seront plus importants que d’autres, notamment à certaines périodes, et là c’est en fonction de l’entraîneur et de l’athlète. Il n’y a pas plus, pas moins. Le raccourci aujourd’hui, est souvent de dire que la dimension mentale, c’est le plus important. Mais qui dit ça ? Qui l’a prouvé ? Par contre, c’est une partie inhérente à la performance. C’est très important au plus haut niveau et j’entends que la différence entre athlètes peut venir de là mais, c’est une nuance importante, en fonction des contextes. Au plus haut niveau, le mental peut faire la différence ou fait la différence, ça, ça ne me dérange pas, mais cela signifie que les niveaux physique, technique et stratégique sont équivalents.
On observe actuellement à la fois une montée en puissance des données et d’une vision humaniste de la performance sportive, avec la question du bien-être des athlètes. Est-ce que ce sont selon vous deux approches contradictoires ou qui peuvent à l'inverse se nourrir l’une l’autre ?
Tout d’abord, je partage la vision humaniste, et d’ailleurs au sein du pôle formation de l’INSEP, on parle désormais de dimension humaine et plus seulement de dimension mentale. C’est une évolution qui va entrer dans les mœurs, car la dimension mentale est une partie de la dimension humaine. En ce qui concerne les données, pour le coup en France, en tout cas sur les sports olympiques, je dirais que nous sommes un peu en retard, même si toutes les fédérations ne sont pas au même niveau. De mon point de vue, c’est un complément. Je pilote le projet Atlhete Management System (AMS) au niveau de l’INSEP. Ce que je partage souvent avec les entraîneurs, c’est qu’il s’agit d’abord d’un outil qui peut servir de média avec les athlètes. On en revient à la question de la posture mais aussi de l’intention. Pourquoi est-ce que je mets en place des questionnaires ? À quoi cela va-t-il me servir ? Comment les athlètes ont compris mon message sur l’utilité des données et surtout, comment dans les faits je les utilise ? On a tous les cas de figure. Il y a des personnes qui d’un coup vont se dire, ah mais là tu es fatigué, tu ne joues pas, si je dois caricaturer. Mais en fait ce n’est pas ça. C’est, si tu es fatigué, peut-être qu’on va alléger. Peut-être qu’au contraire, je t’avais dit que c’était dur et si tu es fatigué c’est normal. Pour moi, les données, en fonction de ce qui est développé dans l’AMS, parce que là aussi nous questionnons les objectifs des entraîneurs, c’est être en capacité d’individualiser la démarche et d’évaluer si la démarche globale est cohérente avec la façon dont les athlètes le vivent, progressent ou non, performent ou non. Les données ne sont pas un outil qui décide à la place de l’entraîneur. C’est bien un outil qui est construit par l’entraîneur, pour l’entraîneur, à partir de ses indicateurs clés de performance. Et ce n’est pas le contraire, ce ne sont pas les données qui vont décider de quel indicateur est le plus important pour l’entraîneur. Ce n’est donc pas la même façon de le voir et de le vivre. Donc, pour moi, les données c’est une aide, il faut prendre du temps et c’est plutôt complémentaire dans l’accompagnement des athlètes et de leur projet de performance. Mais on ne va pas dire, les données c’est plus important que la dimension humaine. La question est quelle intention je place dans les données. En fin de compte, il s’agit de savoir quelle est ma philosophie de la performance, quelle est ma philosophie en tant qu’entraîneur et quelle est ma vision par rapport à mon projet, quels sont les indicateurs qui sont clés. Est-ce que je peux les objectiver et comment ? Et comment je peux les mettre au service du projet de performance, mais de l’athlète, pas du mien. Dans ma conception, les données sont un support, des indicateurs, mais par rapport à quelque chose que j’ai choisi. Je veux vraiment faire passer ce message, par rapport à l’idée que c’est la donnée qui va dicter les choses à l’entraîneur. Non, les données ne vont fournir que les indications sur les points que l’entraîneur a choisis au départ, pas le contraire.
Est-ce que les entraîneurs sont à l’aise avec cette démarche ?
Cela dépend des disciplines et de l’entraîneur. Il y a des personnes qui sont très à l’aise, qui savent ce qu’elles souhaitent faire, d’autres qui en sont aux balbutiements. Nous sommes au début du projet.
Nous avons beaucoup parlé d’individualisation, du côté de l’entraîneur comme de l’athlète…
Oui, cela fait donc une troisième personne différente, la relation entraîneur-athlète. Est-ce qu’on doit utiliser les mêmes outils, les mêmes courants pour chaque personne ? Je dirais que cela appartient à chacun. Pour moi, chaque personne, quelle que soit sa formation dans la dimension mentale, a une idée, une approche, comme les entraîneurs, qui lui est propre. Par conséquent, leur démarche est automatiquement au cas par cas et donc individualisée. Il y a certains outils qui vont parler à une personne tandis que d’autres ne vont pas du tout accrocher. De mon point de vue, dans la dimension mentale, la clé est la relation de confiance qui se crée avec l’expert. Je pense que si on prend dix personnes, elles vont peut-être utiliser les mêmes outils, mais peut-être pas au même moment. L’intention sera toujours la même : la personne vient soit avec des objectifs de progression dans l’optimisation de la performance, soit avec des problématiques. Mais sur une même problématique, deux praticiens n’utiliseront peut-être pas le même chemin. C’est pour cela que, de fait, c’est individualisé.
Quelles sont les suites du travail sur la dimension mentale au sein du réseau grand INSEP ?
Désormais, la question est comment on permet aux personnes de se l’approprier, comment on leur permet de répondre à leurs questions et comment on se lance dans l’opérationnel. Le livret existe, il y a eu beaucoup de réflexions. Comment va-t-on maintenant lancer l’expérimentation, c’est-à-dire le mettre en œuvre. Par quels canaux, quelles sont les personnes qui vont être intéressées, par quoi sont-elles intéressées, comment dans un futur post-Jeux, allons-nous pouvoir aller vers une troisième version ? Ce livret est l’expression de trois ans de travail de 70-75 personnes. Il va bien sûr devoir évoluer, mais nous allons avoir des points pour faire des partages d’expérience sur les utilisations, les freins et limites, et au contraire les intérêts à l’utiliser.
La deuxième édition a été enrichie, dans la première partie avec des cas pratiques, avec des fiches outils en annexe…
Au-delà de la théorie, d’une vision posée, l’idée est de permettre l’appropriation par des outils. Les publics sont assez larges : le premier thème concerne plus les athlètes et les intervenants de la dimension mentale, le deuxième les entraîneurs. Quand on parle des entraîneurs, cela peut intéresser les services de formation des fédérations, mais aussi l’école des cadres, les services de formation des CREPS et des établissements du réseau grand INSEP. Quant aux labs de la perf, aujourd’hui c’est à destination des entraîneurs, mais cela pourrait être à destination d’une communauté de pratique ou d’un organisme. Les DTN seront destinataires du guide. S’ils souhaitent l’approfondir et mettre en place une démarche, un lab de la perf ou une formation de cadres, ils pourront s’y référer. Que ce soit l’association des DTN, le ministère, la direction des sports ou l’Agence nationale du sport, nous allons avoir une démarche d’information très large, de façon à ce que tous les acteurs puissent s’en saisir.
Un dernier mot ?
Pour finir, admiratif est pour moi le bon mot. Tous les contributeurs, les pilotes, les équipes de l’INSEP en charge de l’animation du réseau grand INSEP ont fait preuve de patience, de constance et d’envie pour que ce travail aboutisse. De mon point de vue, c’est d’ores et déjà une réussite et je les en remercie.
Anaëlle Malherbe : « L’objectif est qu’à moyen terme, nous réussissions à créer cette
continuité »↑
Anaëlle Malherbe est psychologue clinicienne et préparatrice mentale au sein de l’unité d’accompagnement à la performance de l’INSEP. Avec Olivier Guidi (CREPS Provence-Alpes-Côte d’Azur), Howard Vazquez et Andrea Sensi (INSEP), elle a coordonné le travail ayant abouti à la publication du livret. Intervenant en staff intégré ou non, présente au sein de la délégation française aux Jeux olympiques d’hiver de Pékin en 2022, son expérience montre tout l’intérêt de développer une continuité dans le suivi des athlètes du point de vue de la dimension mentale.
Quel regard portez-vous sur le travail qui a été réalisé dans le cadre du réseau grand INSEP ?
Pour moi, c’est très positif. La dynamique a été lancée en comité restreint en 2017. Thierry Soler, alors responsable du pôle performance, et notre ancienne directrice générale adjointe m’ont sollicitée pour lancer une action sur l’ensemble du réseau national, ce qui n’avait jamais été fait, pour essayer d’harmoniser les pratiques et faire en sorte que tout le monde puisse échanger, quelle que soit sa casquette, ce qui a été quand même un gros challenge. Lors du premier séminaire, un certain nombre d’intervenants ont permis de poser les trois grandes thématiques sur lesquelles nous travaillons depuis. Le séminaire de juin 2023 à Reims était le quatrième. Il y a eu des mouvements, certaines personnes sont sorties du projet, d’autres sont entrées. Globalement, nous avons réussi à réaliser plusieurs des objectifs que nous avions ciblés. Le langage commun d’abord. Dans chaque collectif, avec Olivier Guidi, nous avons fait en sorte qu’il y ait des psychologues, des préparateurs mentaux, des chercheurs et des coaches, afin d’éviter d’avoir les mêmes profils. Même s’il y avait des regards très différents entre les personnes davantage orientées terrain et les personnes plus orientées recherche, nous avons réussi à nous coordonner pour avoir une trame commune, un langage commun sur les trois versants. La deuxième chose, c’est que nous avons réussi à maintenir une dynamique collective depuis 2017. Les autres démarches qui avaient eu lieu, c’était en 2012 et 2014, sur des groupes d’une dizaine de personnes. Là, nous avons réussi à lancer cette dynamique sur l’ensemble du territoire national avec plusieurs dizaines d’intervenants. Nous sommes en train d’intégrer des personnes des fédérations. Nous voulions d’abord structurer au niveau du réseau grand INSEP et au fur et à mesure élargir à d’autres intervenants. Des entraîneurs ont commencé à lire le livret, des intervenants qui n’étaient pas dans les groupes ont commencé à se l’approprier. Je pense donc que nous avons réussi à créer un bloc intéressant, avec une proposition de questionnaire d’évaluation qui peut se faire entre l’intervenant de la dimension mentale et l’athlète, ou avec l’entraîneur, donc cela peut être tripartite. Nous proposons également des outils et des apports théoriques, qui ne sont que des propositions pour éviter d’enfermer, mais qui forment une ligne directrice, ce qui permet de faire monter en compétence les collègues de manière globale. Les trois ateliers se correspondent. Par exemple, sur la thématique entraîneur, il y a un parallèle avec les besoins et les types de compétences que l’on peut développer chez l’athlète. Sur les labs de la perf, en fin de compte cela peut très bien s’intégrer à toutes les thématiques de formation proposées aux entraîneurs. Sur les grands objectifs, langage commun, réussir à mettre tout le monde autour de la table, maintenir une dynamique collective et enfin avoir une démarche nationale, c’est une réussite. Il y a des perspectives d’évolution et nous verrons comment la suite va se mettre en place. La dynamique actuelle est l’opérationnalisation, faire vivre, permettre que ce qui a été fait puisse être diffusé sur le territoire national et que tout le monde puisse se l’approprier et commencer à l’utiliser à sa manière.
Comment cette opérationnalisation va-t-elle se réaliser ?
L’atelier 1 concerne les athlètes, mais il est à destination des intervenants de la dimension mentale. Notre intention est que ceux qui le souhaitent puissent s’approprier le questionnaire et aller voir d’autres outils que nous proposons. Nous l’avons construit en trois niveaux pour accompagner le développement des habiletés mentales quel que soit le niveau et quel que soit l’âge. Nous avons donc conçu un niveau découverte, plutôt sensibilisation et que nous faisons souvent sur du collectif, un niveau qui va être sur l’approfondissement, de l’appropriation, et un niveau expert, qui concerne plutôt les athlètes olympiques et où l’on est sur du sur-mesure. Cela donne une trame dans l’optique de travailler sur le suivi longitudinal, peut-être par l’intermédiaire du Portail de suivi quotidien des sportifs (PSQS). Il s’agirait de laisser une trace qui permette à l’intervenant suivant de savoir qui a travaillé avec l’athlète, ce qui a été fait, où ils en sont, pour assurer une cohérence tout en faisant attention à la confidentialité et au RGPD. Sur la thématique entraîneur, nous proposons une trame pour l’ingénierie de formation, avec un certain nombre de thématiques et une correspondance par rapport aux habiletés que cela demande de développer chez l’athlète. Mais bien sûr, les personnes construisent ensuite les formations comme elles le souhaitent. Ce sont des propositions de contenus, d’outils, de manières de faire, qui permettent une appropriation de la part des formateurs. Les labs de la perf peuvent traiter tout type de thématique. Ce peut être pour les entraîneurs du même staff, pour des entraîneurs de staffs différents, pour des DTN, pour des psychologues. Il s’agit de la création d’une dynamique de type analyse de pratique, qui permet d’être dans le développement personnel, le développement de compétences, le partage d’expériences, etc.
L’idée est donc d’avoir une continuité d’accompagnement des athlètes, ce que vous avez pu expérimenter à Pékin avec la délégation française.
Le fait qu’on se voit régulièrement sur les regroupements nous permet de mieux nous connaître entre intervenants sur le territoire national. On ne va pas dire qu’on se connaît tous, parce qu’il y a quand même pas mal de monde, mais en l’occurrence, cela m’a permis d’être en contact avec les deux intervenants qui étaient sur les sports de glace, en leur demandant s’ils étaient d’accord pour me dire qui était suivi et s’ils avaient des messages à me transmettre. Certains m’ont directement mise en contact avec les athlètes ou les athlètes m’ont contactée de la part des collègues. Cela permet d’avoir un peu l’historique, ce qui est très important pour être dans la continuité, puis à la fin des Jeux, de pouvoir communiquer à mes collègues le travail qui a été fait et proposer éventuellement certaines pistes de travail. Dans ce cas, on travaille vraiment en étant centré sur le besoin de l’athlète. Pour moi, l’objectif est qu’à moyen terme, nous réussissions à créer cette continuité, ce qui n’est pas si simple que ça en France. Les choses se font souvent par structure, ça ne communique pas tant que ça, même au sein d’une structure, cela peut être compliqué. Il faut vraiment chercher à casser ces barrières pour avoir une dynamique commune.
Le fait que vous ayez accompagné la délégation française aux Jeux olympiques de Pékin est un signe d’évolution.
Pour moi il y a eu deux choses. D’un point de vue purement contextuel, une accréditation Welfare Officer avait été créée à cause de la Covid. Intrinsèquement, d’un point de vue international, il y avait besoin de psychologues. En parallèle, je pense que les mentalités évoluent petit à petit. Je crois qu’il y avait des appréhensions avant que nous venions sur le terrain. C’était la première fois qu’il y avait deux psychologues [Cécilia Delage est la seconde] qui étaient officiellement dans la délégation pour l’ensemble des athlètes et des staffs. Nous avons travaillé avec des kinés et des médecins en suivi. Cela a permis de commencer à poser une structure d’accompagnement, avec tout le travail en amont de mise en contact avec les entraîneurs et les autres collègues de la dimension mentale. Je pense en effet qu’on commence à être à un tournant. Les retours que j’ai eus du Comité national olympique ont été bons. C’est top, parce qu’il y a eu quelques déboires par le passé qui m’ont été remontés et qui ont je pense joué sur la perception de la dimension mentale. L’idée est de continuer dans cette dynamique, en espérant que cela puisse aussi se mettre en place pour les Jeux de Paris 2024, et que cela évolue au fur et à mesure pour structurer la démarche en deux pôles : un pôle clinique, en cas d’urgence, et un pôle pour travailler sur la performance, parce que c’est aussi un besoin des athlètes et qu’un certain nombre sont suivis dans ce cadre-là. Tout est à construire, en s’appuyant sur les expériences de Pékin et l’expertise d’autres professionnels de la dimension mentale.
Il n’y a pas de préparateurs mentaux dans les staffs des équipes sur les grandes compétitions ?
Il y en a de plus en plus, mais sur les staffs intégrés pas tant que ça. La Fédération française de natation a intégré un psychologue pour chaque groupe. Cet été, je pars avec l’escrime pour faire le stage de préparation aux championnats du monde et les championnats, puis je vais faire la même chose avec le badminton, mais en 2016 à Rio, cela n’existait pas. Les choses se développent donc, avec des psychologues qui ont une valence préparation mentale. J’insiste sur ce point car le statut de préparateur mental n’est pas réglementé. Être psychologue, c’est cinq années d’études, et cela permet de voir ce qu’il y a de manière sous-jacente, de manière plus inconsciente, de comprendre le fonctionnement de l’individu et du collectif. C’est important d’avoir les deux casquettes et même si à chaque fois, on me dit préparatrice mentale, la majeure partie du temps, je travaille sur le versant clinique, psychologique. Il est primordial de prendre le sportif ou la sportive dans sa globalité, avec l’ensemble de ses facettes et domaines de vie ainsi que l’environnement dans lequel il évolue. La notion d’équilibre dans le déséquilibre est un pilier incontournable.
Les choses sont-elles amenées à évoluer concernant la réglementation de la préparation mentale ?
Je pense que c’est un gros chantier. Les universités proposent des formations de ce type via les formations STAPS et des diplômes universitaires (DU). Il existe aussi des formations privées. Il y a du bon et du moins bon dans les deux, public ou privé, et ce n’est pas forcément coordonné. Tant que ce ne sera pas reconnu par l’État, ce sera délicat, car il n’est pas possible de cadrer la démarche comme c’est le cas pour les métiers de psychologue, kiné ou médecin. Je pense que cela passera d’abord par les universitaires, mais s’accorder sur ce qui permet de valider des compétences en préparation mentale est un gros chantier.
Sur la préparation mentale intégrée, quelles sont les dynamiques avec les autres composantes du staff ?
Je vais prendre l’exemple de l’escrime. Nous avons fait l’olympiade de Tokyo ensemble et nous faisons également celle de Paris. En staff intégré, la manière de travailler est différente. Je vois les athlètes en face-à-face, je vais plus souvent sur le terrain, aux entraînements, sur les stages et les compétitions. Je fais beaucoup le lien avec les entraîneurs. Par exemple, cette semaine, j’ai fait une proposition d’exercice pendant les séances d’assaut à Émeric [Clos, entraîneur national de l’équipe de fleuret masculine] pour certains des tireurs. C’est donc assez intégré à ce qui peut se mettre en place sur le terrain. Quand je vais en compétition, je vais beaucoup observer pour pouvoir reprendre les choses par la suite. Quand les athlètes en ont besoin, ils viennent me voir et on va replacer certaines choses qu’on a vues ensemble, car ce n’est pas au dernier moment qu’on réinvente tout. Au fleuret masculin par exemple, nous allons faire un atelier collectif pour désacraliser l’enjeu pour les championnats du monde. C’est une nouvelle équipe, et depuis le début de saison nous travaillons vraiment sur la dynamique collective. Je travaille aussi avec le staff. Je vais donc travailler avec différentes strates, avec pas mal d’échanges et de communication. Au judo par exemple, ce n’est pas intégré, je vais être plus « en mode bureau », en face-à-face. Je vais faire le lien avec certains entraîneurs avec l’accord de l’athlète, mais je ne vais pas aller sur le terrain. C’est un peu plus distancié. Certains vont donc préférer fonctionner avec l’intervenant intégré, qu’ils connaissent bien, qui est présent, et d’autres vont préférer quelqu’un qui est vraiment extérieur, voire extérieur à l’INSEP pour s’éloigner du contexte et avoir quelqu’un qui soit, entre guillemets, complètement neutre par rapport à la dynamique qui peut être installée dans la structure.
Ces différences relèvent-elles des personnes ou des cultures sportives ?
Les deux. J’ai eu une personne qui préférait au début travailler avec moi parce que c’était intégré. Nous avons fait une olympiade ensemble, puis elle a eu besoin d’avoir vraiment quelqu’un d’extérieur, ni au pôle médical ni au pôle performance. Cela peut donc changer d’une personne à l’autre en fonction des moments. Ensuite, il y a des cultures. L’escrime est très en demande, le judo sollicite de manière plus pondérée. Cela dépend vraiment des sports et des staffs. Les athlètes sont de plus en plus ouverts, beaucoup d’entraîneurs aussi, mais si l’entraîneur n’est pas d’accord pour qu’il y ait un intervenant de la dimension mentale, ce ne sera pas possible.
Est-ce qu’on attend plus ou moins de la dimension mentale selon les sports ? En tennis par exemple, on se dit qu’elle est primordiale.
J’avais aidé le tennis sur la structuration de la dimension mentale. Il y a aujourd’hui deux autres intervenantes sur cette question. L’optique de mettre en place la dimension mentale est importante. J’avais travaillé avec certains joueurs sur la coupe Davis avec Yannick Noah. Ce n’est pas forcément la culture de la génération actuelle. Quand les athlètes ne sont pas acculturés, ce n’est pas évident. Actuellement, l’idée est d’acculturer les plus jeunes et petit à petit cela permettra aux entraîneurs de voir ce qui peut être mis en place, de créer le lien, de mettre en place au début un peu d’éducation, de la prévention, pour ensuite aller sur l’optimisation. À moyen terme, le fait de construire cela avec les plus jeunes va avoir un effet bénéfique. La place de la dimension mentale dans le tennis est primordiale. Sur des sports collectifs comme le football, ils vont être plutôt sur une dynamique individuelle, parce qu’en fin de compte, certains joueurs vont partir assez rapidement dans la saison. À moyen terme, la dimension collective arrivera davantage, mais sûrement plus avec un accompagnement en lien avec l’entraîneur. Cela dépend donc des cultures, comme ici à l’INSEP, cela dépend des pôles. Certains sont très acculturés. Dans le cas de l’escrime, au début ce n’était pas évident, puis au fur et à mesure, j’ai accompagné une athlète, puis deux, puis trois, j’ai fait le lien avec les entraîneurs. Les résultats étaient bons et nous avons commencé à travailler avec les entraîneurs, puis avec plusieurs groupes. Cela dépend donc de l’historique et des spécificités. Le rugby est en train de se structurer, avec Mickaël Campo, en formant les staffs et les entraîneurs. Comme dans notre deuxième atelier, en faisant cela, on fait aussi monter en compétence les athlètes. Quand on est ensuite en suivi des athlètes, les bases sont posées, on peut aller sur des choses beaucoup plus spécifiques et mieux communiquer également avec l’entraîneur.
Comment s’est déroulé le séminaire de Reims ?
Ce qui était intéressant, c’est que des entraîneurs sénégalais étaient présents. Leurs questions nous ont permis de voir comment cela pouvait être appréhendé par les entraîneurs, avec toutefois une culture et des moyens différents. Ce que nous avons observé, c’est que parmi les intervenants de la dimension mentale qui étaient présents, beaucoup ont déjà bien intégré ce qui est mis en place. Nous avons pu commencer à avancer sur des projections d’opérationnalisation : répartition des tâches, proposition d’exercices pour mieux intégrer certains aspects. De mon point de vue, nous avons quelque chose de solide, qui répond à tous les objectifs que nous avions ciblés en 2017-2018. Le faire vivre va être intéressant et nous ferons un point après Paris 2024 pour que les gens à différents niveaux puissent se l’approprier et pour que nous fassions un débrief des Jeux. L’objectif sera ensuite d’élargir à plus de fédérations, mais cela demande du temps et de la disponibilité, ce qui sera plus difficile à quelques mois des Jeux.
Qu’est-ce qui fait selon vous la particularité de la culture française par rapport à la dimension mentale ?
Il y a quelques guerres de chapelles qui sont parfois fatigantes. Que nous soyons psychologue, préparateur mental ou chercheur, nous avons un objectif commun, et je considère qu’il n’y en a pas un qui a plus raison. La question est de savoir comment nous parvenons à nous rencontrer, avec un apport théorique et ce qui se passe vraiment au quotidien sur le terrain dans l’accompagnement. C’est un peu une culture française. Et puis le côté « vieux Gaulois », le fait d’être souvent en opposition. D’un côté c’est intéressant, parce que cela fait avancer le débat. Mais je me rappellerai toujours une phrase que le directeur des hôpitaux de Montréal m’avait dite en 2010 : « Vous les Français, vous réfléchissez beaucoup et ensuite vous agissez. Nous les Québécois, on agit, et après on réfléchit. » Je trouvais ça très vrai, parce qu’effectivement, nous avons vraiment une culture de réflexion, de stimulation intellectuelle, de débat, pour passer ensuite sur du concret, là ou d’autres cultures vont réagir différemment. Les Anglais sont très terrain, les Hollandais sont déjà structurés, avec des pour et des contres, mais de mon point de vue, c’est un peu notre spécificité française. Depuis Rio, il y a eu tout de même une évolution importante.