Individualisation de l’entraînement et de la prévention en sprint : le projet FULGUR
Caroline Giroux
Laboratoire Sport, expertise, performance, INSEP
Consortium FULGUR
Lors des Jeux olympiques, la course à vitesse maximale est le geste le plus régulièrement exécuté par les sportives et les sportifs, le 100 m étant considéré comme l’épreuve reine. Cependant, l’atteinte de telles vitesses de course en sprint demande à la fois des qualités physiques extrêmement développées, ainsi qu’un système musculo-squelettique robuste, afin de ne pas être trop exposé au risque de blessure. En effet, la blessure musculaire des membres inférieurs, particulièrement sollicités en sprint, est la première cause d’interruption de l’entraînement ou de la compétition sur la scène internationale. Dans ce contexte, la France présente la particularité d’être historiquement performante dans les sports de vitesse et d’être reconnue pour ses travaux de recherche en sciences du sport appliqués à la compréhension de la performance en sprint. Dans ce contexte, le projet FULGUR poursuit trois objectifs principaux : décrire la mécanique du sprint au niveau du centre de masse et des segments articulaires, afin de quantifier la charge d’entraînement spécifique au sprint, à ces échelles, en conditions réelles d’entraînement, voire de compétition (lot de tâches 1) ; déterminer le profil musculo-squelettique de chaque athlète de très haut niveau en vue de proposer des programmes d’entraînement « sur-mesure » visant à optimiser l’efficacité de la propulsion en sprint (lot de tâches 2) ; estimer le niveau de risque de blessure et suggérer des stratégies de prévention individualisées basées sur une approche multifactorielle incluant l’environnement (nutrition, sommeil) et le comportement des athlètes (lot de tâches 3). Ces objectifs sont soutenus par des tâches transversales visant à améliorer l’analyse d’imagerie musculo-squelettique et du geste sportif à l’aide des techniques d’échographie et de machine learning.
At the Olympic Games, maximal speed running is the most frequently performed action by athletes, with the 100m being considered the flagship event. However, achieving such sprinting speeds requires not only highly developed physical abilities but also a robust musculoskeletal system to avoid excessive injury risk. Indeed, lower limb muscle injuries, which are heavily solicited during sprinting, are the leading cause of training or competition interruptions on the international stage. France stands out historically for its excellence in speed sports and is recognized for its research in sports science applied to understanding sprint performance. Within this context, the FULGUR project pursues three main objectives: to describe sprint mechanics at the center of mass and joint segment levels, in order to quantify sprint-specific training loads at these scales, under real-world training or even competition conditions (Work Package 1); to determine the musculoskeletal profile of each elite athlete with the aim of offering “tailor-made” training programs to optimize sprint propulsion efficiency (Work Package 2); to estimate the injury risk level and suggest individualized prevention strategies based on a multifactorial approach that includes environmental factors (nutrition, sleep) and athlete behavior (Work Package 3). These objectives will be supported by cross-cutting work packages aimed at improving the analysis of musculoskeletal imaging and sports movement using ultrasound techniques and machine learning.
Mots-clés : sprint, ischio-jambiers, entraînement sur mesure, disponibilité de l’athlète
Keywords: sprint, strain injuries, tailored training, athlete availability
Le projet FULGUR bénéficie d'une aide de l’État gérée par l’Agence nationale de la recherche au titre du programme d’investissements d’avenir portant la référence ANR-19-STHP-003. Les partenaires sont les fédérations françaises d’athlétisme, de rugby et de sports de glace, le CNRS, le CEA-List, Nantes Université, l’université de Savoie Mont-Blanc, l’université de Nice, l’université Jean Monnet Saint-Étienne, l’université Paris-Saclay, Supersonic Imagine et Natural Grass. Au total, le projet implique vingt-deux chercheuses et chercheurs.
Quatre sportifs sur dix sélectionnés aux Jeux olympiques de Paris étaient engagés dans des disciplines incluant de la course à très haute vitesse. Dans ces disciplines la majorité des blessures sont musculaires et touchent les membres inférieurs. Aux Jeux olympiques de Tokyo, sur les 1 035 blessures rapportées par les comités olympiques nationaux, 119 concernaient des blessures musculaires (Soligard et al., 2023). Tous sports confondus, plus de la moitié de ces blessures touchaient le groupe musculaire des ischio-jambiers et atteignaient jusqu’à 73 % en athlétisme (Katagiri, 2022). La blessure initiale étant le principal facteur de risque, réduire son incidence est une priorité stratégique des entraîneurs désireux d’augmenter la disponibilité des sportives et sportifs à s’entraîner pour pouvoir participer et être performants lors des échéances internationales. Les ischio-jambiers sont un groupe musculaire situé à l’arrière de la cuisse composé de quatre chefs (chef long et court du biceps fémoral, semi-tendineux et semi-membraneux). Ils sont particulièrement exposés au risque de blessure lors d’un sprint. En effet, les modèles biomécaniques suggèrent que la déformation, l’activation et la force produite par les ischio-jambiers sont maximales à la fin de la phase d’envol, juste avant le contact du pied avec le sol.
Malgré l’attention particulière portée par les principaux centres de médecine du sport de haut niveau à cette problématique, il est à noter que le taux de récidive des blessures musculaires est resté significatif ces dernières décennies (14 à 63 %). La persistance de ce problème pourrait provenir (i) de critères inappropriés pour évaluer le niveau de risque, (ii) d’une compréhension limitée des interactions muscle-tendon en conditions réelles de sprint, (iii) d’une planification perfectible de l’entraînement, notamment de la charge spécifique et/ou (iv) de méthodes de prévention dont l’efficacité a été insuffisamment démontrée. Ces constats renforcent le besoin d’une approche plus globale de la gestion de la blessure musculaire centrée sur le mouvement spécifique du sprint.
C’est avec l’ambition d’apporter des éléments de réponse à ces problématiques que le projet FULGUR a été construit en collaboration avec les fédérations françaises d’athlétisme, de rugby (Rugby à 7) et de sports de glace (Bobsleigh). Les sportives et sportifs de ces fédérations sont, en effet, engagés dans des disciplines où la vitesse maximale en sprint et les accélérations sont des facteurs clés de la performance et où l’exposition aux risques de blessures musculaires est particulièrement importante.
Basé sur le postulat que la planification d’un entraînement adapté aux propriétés musculo-squelettiques individuelles concourt à l’amélioration des capacités de résistance des tissus aux contraintes associées à la course à vitesse maximale, à l’amélioration de la performance et à la diminution du risque de blessures musculaires en sprint, ce travail vise à fournir aux entraîneurs des informations pertinentes dans une optique d’individualisation des contenus d’entraînement et de prévention.
« L’équipe de France de rugby à 7 a bénéficié d’un accompagnement scientifique privilégié, au travers du projet FULGUR, lors du cycle de préparation aux Jeux olympiques de Paris. Le profilage complet des joueurs et joueuses, au moyen des tests réalisés en laboratoire et sur terrain, a permis de cibler les axes prioritaires d’entraînement et ainsi réduire le risque de blessure puis améliorer la performance en sprint. L’individualisation des entraînements des joueurs était ainsi au centre de notre projet. Nous avons ainsi pu observer que certains d’entre eux étaient déficients au niveau de la force des extenseurs de hanche ou encore de l’explosivité des fléchisseurs plantaires. » (Julien Robineau, préparateur physique de l’équipe de France de rugby à 7 masculine)
Un consortium11. Responsable sci (…) composé de laboratoires leaders sur le plan international dans les domaines de la biomécanique, de l’entraînement musculaire et de l’imagerie médicale s’est donc constitué pour mener à bien le programme de recherche FULGUR. Depuis son démarrage officiel en janvier 2020, le projet s’organise autour de trois lots de travaux expérimentaux et deux lots de tâches transversales dont les objectifs scientifiques et les retombées pour les acteurs de la performance sportive sont présentés ci-après.
Lot de tâches 1 : Quantification de la charge mécanique en sprint↑
L’objectif de ce lot de tâches est de décrire la mécanique du sprint au niveau du centre de masse et des segments articulaires afin de quantifier la charge d’entraînement spécifique au sprint, à ces échelles, en conditions réelles d’entraînement, voire de compétition.
Dans le cadre de ce lot de tâches, des évaluations régulières de la relation force-vitesse et charge-vitesse en sprint sont réalisées. Le protocole consiste pour la sportive ou le sportif à réaliser des sprints maximaux dans différentes conditions : sans charge, avec une charge légère et avec une charge élevée. Ces charges sont appliquées avec un système de résistance motorisé relié au sportif par un filin. Ces évaluations permettent de déterminer les qualités de force, de vitesse et de puissance de la sportive ou du sportif et de définir son profil de sprinter. Il est ensuite possible d’évaluer les performances et contraintes mécaniques impliquées durant l’entraînement au regard de ce profil de référence. Ce « profil force-vitesse » peut être déterminé à partir de mesures réalisées avec différents outils de terrain (laser, radar, système motorisé, GPS, cellules photoélectriques). Une des premières études réalisées dans le cadre de FULGUR a permis d’établir la validité, la reproductibilité et les limites de ces différentes méthodes (Fornasier-Santos et al., 2022). Ainsi, ces évaluations peuvent être effectuées plusieurs fois dans la saison directement sur les sites d’entraînement ou en compétition, à partir du moment où un sprint maximal est enregistré. Après chaque évaluation, un rapport individuel automatisé et connecté aux bases de données du projet FULGUR est transmis et présenté à l’athlète et son entraîneur. Ils peuvent ainsi comparer les paramètres d’intérêt issus du profil force-vitesse de l’athlète à des données de référence (aux autres athlètes élites de la même discipline) (Fig. 1). À partir de la relation charge-vitesse déterminée grâce au système de résistance motorisé, des préconisations de charges adaptées au développement spécifique de chaque capacité (force, puissance, vitesse) sont également proposées pour répondre aux besoins individuels de chaque sportive et sportif.

« Les données biomécaniques collectées dans le cadre de ce projet nous ont permis de mieux comprendre les profils force-vitesse-puissance et d’individualiser les charges de chaque sprinteur pour le développement spécifique de chacune de ces zones d’entraînement. Avec FULGUR, de nombreux entraîneurs ont pu être largement familiarisés aux méthodes d’évaluation des profils force-vitesse-puissance des athlètes, ce qui les a rendus autonomes en pôle pour répéter ces évaluations au fil des saisons. Grâce à une meilleure individualisation des contenus d’entraînement, nous espérons dans les années à venir être en mesure de réduire de manière significative le risque de récidive des blessures musculaires, notamment au niveau des ischio-jambiers, qui sont particulièrement sollicités en sprint. » (Hugo Maciejewski, référent scientifique de la Fédération française d’athlétisme)
Afin de proposer des contenus d’entraînement spécifiques permettant de cibler ces secteurs, nous avons également mis en place une étude permettant de catégoriser mécaniquement un catalogue d’exercices (gammes) couramment utilisés dans l’entraînement en sprint.
En complément, des méthodes de suivi de la charge mécanique interne via la collecte du niveau d’effort perçu post-séance et une quantification de la charge externe sont mises en place, notamment par l’utilisation du GPS. L’utilisation du GPS est relativement ancrée aujourd’hui dans les sports collectifs. Les équipes de France de rugby à 7 impliquées dans le projet FULGUR en sont équipées et l’encadrement gère directement la quantification de la charge. Le projet FULGUR a permis de transposer progressivement ces pratiques à la caractérisation de la demande mécanique associée à la pratique du sprint en athlétisme. Il s’agit ici d’une évolution de paradigme majeure impulsée par le projet.
L’équipe FULGUR a ainsi équipé et suivi une vingtaine d’athlètes préparant les grandes échéances internationales. À l’issue de chaque séance, les athlètes et/ou l’encadrement transmettent le détail des exercices réalisés. Le signal GPS collecté est séquencé pour chaque phase de l’entraînement afin de mettre en relation les données mécaniques avec le contenu de l’entraînement et ainsi objectiver ces informations dans un rapport de séance individuel. Ces rapports permettent de quantifier plusieurs paramètres décrivant la charge mécanique induite par la séance, dont certains ont été suggérés comme liés à l’exposition au risque de blessure (Duhig et al., 2016) : nombre de kilomètres parcourus, durée de la séance, nombre de sprints générant une vitesse supérieure à 90 % de la vitesse maximale de sprint, nombre d’accélérations supérieures à 3 m.s-2. Ces rapports permettent aussi de comparer les efforts au sein d’une séance, entre deux séances ou encore avec des données de compétition. Ainsi, il est possible de mieux décrire ou de comparer l’effet de différents types de séances sur la charge et sur la mécanique du sprint. La compilation de chaque séance permet d’alimenter et de communiquer avec des bases de données vivantes et de proposer un suivi prospectif sur le plan de la charge d’entraînement spécifique. Des rapports hebdomadaires, trimestriels ou encore décrivant la mécanique du sprint en compétition peuvent aussi être produits à la demande.
« L’intégration des outils d’analyse fournis par le projet a bousculé notre suivi des athlètes en permettant une évaluation en temps réel des paramètres clés du sprint. Par exemple, le système de GPS et le dispositif de résistance motorisée (1080) nous permettent de suivre les performances, l’intensité des séances et plus globalement la charge d’entraînement dans les disciplines intégrant du sprint, chose qui était jusqu’à présent difficile à quantifier de manière précise. Avant FULGUR, nos évaluations se basaient principalement sur des ressentis et des observations visuelles. Aujourd’hui, nous disposons de rapports individualisés qui nous indiquent précisément les charges optimales à appliquer pour chaque athlète en fonction de son profil. » (Hugo Maciejewski, référent scientifique de la Fédération française d’athlétisme)
« Le suivi quotidien du joueur de rugby, au moyen de la technologie GPS, a permis d’affiner la dynamique des charges d’entraînement à la fois en période de présaison mais aussi en période compétitive. Les indicateurs d’accélération et de distance sprintée sont très importants lors de la performance à l’entraînement et en match. » (Julien Robineau, préparateur physique de l’équipe de France de rugby à 7 masculine)
Lot de tâches 2 : Lien entre propriétés musculaires et performance en sprint↑
Ce lot de tâches consiste à étudier les relations entre les propriétés mécaniques musculaires, les coordinations musculaires et l’efficacité de la propulsion en sprint et le risque de blessure aux ischio-jambiers.
Le premier objectif de ce lot de tâches est d’étudier les relations entre les propriétés géométriques (volume, architecture) et mécaniques des muscles (force-vitesse, force-longueur) évaluées au niveau du membre inférieur (hanche, genou, cheville) et la performance évaluée au cours d’un sprint maximal (en lien avec le lot de tâches 1). En d’autres termes, les performances, notamment les profils force-vitesse-puissance, évaluées au cours des tâches de sprint, sont comparées à ces mêmes profils obtenus lors d’évaluations mono-articulaires maximales réalisées dans des conditions standardisées (sur ergomètre) en laboratoire.
Les performances en sprint et lors des tests analytiques sont également mises en relation avec la morphologie musculaire de l’athlète. Après trois ans de développement en collaboration avec Nantes Université et l’École centrale de Nantes, la morphologie des muscles, en particulier les volumes musculaires, sont extraits au moyen de l’IRM via une segmentation automatique des muscles par intelligence artificielle (Piecuch et al., 2023). Les examens IRM sont réalisés au centre d’imagerie de l’INSEP lors des évaluations annuelles des sportifs (Fig. 2).

Ce développement méthodologique constitue une avancée majeure puisqu’il offre la possibilité d’accéder au morphotype de l’athlète de manière accélérée (35 heures sont nécessaires à une segmentation manuelle contre quelques minutes avec cette technologie). Ajoutons que cet algorithme a été spécifiquement entraîné pour segmenter les muscles d’une population de sprinteuses et sprinteurs élites, ce qui en fait un outil unique en son genre. Ces développements méthodologiques pourront être ré-appliqués pour d’autres populations (par ex. populations pathologiques). Compte tenu de l’importance croissante de ces informations pour estimer la performance d’une sprinteuse ou d’un sprinter, ou son exposition au risque de blessure, cet outil ouvre des perspectives de premier rang dans le domaine de l’individualisation de l’entraînement.
Les propriétés d’élasticité musculaires, tendineuses et articulaires de la chaîne postérieure de la cuisse sont également évaluées au cours d’un test fonctionnel global (straight leg raise test). Les propriétés élastiques locales de chacun des chefs des ischio-jambiers sont déterminées par une méthode appelée élastographie par onde de cisaillement. Cette méthode non invasive est sans effort pour le sportif. Elle renseigne sur la raideur du tissu musculaire en réponse à une contrainte (Fig. 3). Elle permet également de mesurer les modifications d’élasticité musculaire induites notamment par la cicatrisation post-blessure, qui est supposée accroître la raideur du muscle. Ces informations peuvent éclairer l’entraîneur sur les contenus de renforcement musculaire ou d’étirements à mettre en place pour augmenter ou diminuer la raideur des muscles cibles.


Comme pour le lot 1, ces évaluations sont proposées annuellement aux sportives et sportifs participant au projet. Des rapports automatisés individuels sont présentés et discutés avec les préparateurs physiques et kinésithérapeutes afin de proposer des pistes d’optimisation des qualités musculaires et de prévention des blessures. Chaque paramètre quantifié alimente des bases de données vivantes, c’est-à-dire mises à jour après chaque évaluation.
« Les innovations du projet, notamment l’élastographie par onde de cisaillement, ont transformé notre approche de la rééducation post-blessure. Nous disposons désormais d’un outil pour mesurer la raideur musculaire de chaque chef des ischio-jambiers et ajuster les programmes de renforcement et de mobilité en fonction des besoins spécifiques de chaque athlète. À l’avenir, ces informations seront extrêmement précieuses, car elles pourraient permettre au staff technique de mieux gérer la phase de retour à l’entraînement et de limiter le risque de rechute. » (Hugo Maciejewski, référent scientifique de la Fédération française d’athlétisme)
Le deuxième objectif du lot de tâches 2 est d’examiner les coordinations musculaires entre les quadriceps, les ischio-jambiers et les fessiers lors de contractions mono-articulaires, et pendant le sprint en course à pied. Ces analyses permettent de déterminer la contribution de chaque muscle à l’extension et à la flexion du genou et de la hanche, et leur contribution à la performance en sprint. L’équilibre entre les contributions de chaque chef musculaire est étudié comme un facteur de performance, et reconnu comme lié à l’exposition au risque de blessure (Schuermans et al., 2014 ; Avrillon et al., 2018, 2020). Ces informations sont donc essentielles pour les entraîneurs pour concevoir des programmes de renforcement musculaire en fonction des muscles spécifiques à développer et/ou renforcer. Là encore, des rapports sont maintenant générés à chaque test pour les entraîneurs et athlètes.
En lien avec le lot 1, l’effet de la vitesse de mouvement et de la charge résistive en sprint sur les coordinations est également évalué. Plus la vitesse en sprint augmente, plus le groupe musculaire des ischio-jambiers est activé. À l’inverse, plus une charge résistive importante est appliquée en sprint, moins l’activation des ischio-jambiers sera importante. Cette étude permet de faire prendre conscience de ces résultats aux entraîneurs qui pouvaient jusqu’ici avoir une représentation allant à l’inverse (augmentation de l’activité de tous les muscles avec la charge).
Afin d’aller au bout de cette démarche, le consortium a développé une plate-forme représentant de manière interactive l’ensemble des données disponibles dans la littérature, relatives aux coordinations musculaires engagées lors de la réalisation d’exercices de renforcement musculaire des extenseurs de hanche. Cette plate-forme rend compte des distributions des activations musculaires entre les différents chefs des extenseurs de hanche, qui varient en fonction de l’exercice réalisé. Cet outil est accessible pour les entraîneurs impliqués dans le projet, ce qui leur permet de prendre des décisions éclairées quant aux exercices à privilégier au regard des besoins individuels des sportifs qu’ils entraînent. Les fonctionnalités de la plate-forme ont été partagées lors des colloques fédéraux et assises réunissant les entraîneurs nationaux. À la demande de Christine Hanon (référente scientifique de la Fédération française d’athlétisme jusqu’en 2023), un poster a par exemple été réalisé et exposé lors des championnats de France d’athlétisme élite à Albi du 24 au 26 juin 2022 (Fig. 4).

Les données collectées dans le cadre du lot 2 peuvent aussi permettre de répondre a posteriori à des questions émergentes des entraîneurs nationaux. Par exemple, il serait possible d’explorer l’effet du type de pointes (classiques vs carbones) sur les données précédemment collectées (données de force, données de coordinations et synergies musculaires, temps de vol, temps de contact, etc.).
Lot de tâches 3 : Approche multifactorielle de la prévention des blessures↑
Les objectifs de ce lot de tâches sont de mieux comprendre les facteurs liés à la survenue des blessures et de proposer des stratégies pour limiter leur incidence.
En plus des facteurs physiques collectés dans les lots 1 et 2, le lot 3 s’intéresse aux facteurs psychologiques et habitudes de vie (sommeil, hydratation, nutrition). Les sportives et sportifs renseignent, au moment des évaluations annuelles, un questionnaire pour déterminer leurs profils psychologiques vis-à-vis de la performance et de la blessure. Les questions portent, par exemple, sur l’anxiété, la motivation, l’impulsivité ou encore la capacité à réguler des émotions. Un rapport individualisé est proposé au sportif.
C’est également dans le cadre de ce lot de tâches que sont collectés les historiques de blessure des sportives et sportifs depuis le début de leur carrière via un questionnaire. Ces données peuvent être complétées par les équipes médicales et sont archivées dans les bases de données du projet de manière automatisée tout au long du processus de collecte. Ces données ont permis de mettre à jour les connaissances sur l’épidémiologie des sportives et sportifs en athlétisme, rugby à 7 et bobsleigh (Fig. 5) et peuvent guider les mesures de prévention chez ces populations.
Les liens entre les historiques de blessures et les facteurs de risques liés aux comportements ont aussi pu être analysés. Par exemple, les sportives et sportifs présentant un niveau élevé de gravité et d’apparition soudaine de blessure montrent des scores élevés de motivation intrinsèque, d’anxiété, d’impulsivité et des scores faibles de motivation extrinsèque et de difficultés de régulation des émotions. Ces éléments renforcent l’importance d’une prise en charge individualisée et globale des athlètes, qui tienne compte des aspects psychologiques en plus de la dimension physique.

Le lot 3 propose de suivre au quotidien les facteurs et les comportements liés au risque de blessures musculaires. Grâce à une application smartphone (Athlète360), les athlètes renseignent de manière biquotidienne des informations sur leur état émotionnel (motivation, anxiété), leur état de forme (niveau de perception de l’effort post-séance, fatigue) et sur leurs habitudes alimentaires (par ex. hydratation). Le sportif peut suivre au quotidien l’évolution de chaque paramètre sur des tableaux de bord. Les équipes encadrantes peuvent suivre l’état de forme global de chaque sportif. Via l’application, les sportifs peuvent aussi indiquer la survenue d’une nouvelle blessure. À partir des données collectées de manière biquotidienne, l’équipe FULGUR a développé des algorithmes permettant de prédire la survenue des blessures (Tondut et al., 2023). Ces algorithmes doivent être améliorés, et le taux de réponse des sportifs doit être le plus élevé possible avant qu'ils puissent être utilisés pour guider les entraînements, mais cette approche représente une avancée très importante dans le domaine de la prévention des blessures.
Sur la base des données collectées pour un athlète pendant une période de référence de plusieurs mois, en collaboration avec cet athlète et son encadrement, il est possible de développer des stratégies et de proposer des conseils individualisés pour tenter de réduire le risque de blessure. Chaque jour et en fonction de l’évolution par rapport aux jours précédents et à la période de référence, un message est proposé à l’athlète directement dans l’application, soit pour l’alerter sur d’éventuels comportements à risque et lui suggérer des recommandations pour tenter d’améliorer ses pratiques, soit pour renforcer ses bons comportements.
« L’approche holistique du projet Fulgur a également permis de prendre en compte les états de forme des joueurs dans leur globalité en intégrant les données de douleurs musculaires, de sommeil, d’hydratation, de niveau de stress et d’anxiété, etc. Ce suivi longitudinal, permettant de mettre en relation les états de forme avec les charges d’entraînement, aura également été bénéfique pour réduire le nombre de blessures et optimiser les qualités physiques neuromusculaires. » (Julien Robineau, préparateur physique de l’équipe de France de rugby à 7 masculine).
L’ultime tâche de ce dernier lot expérimental consiste en l’analyse croisée de l’ensemble des données collectées dans le projet. Les bases de données du projet contenant les indicateurs collectés dans les lots 1, 2 et 3 sont analysées à l’aide de méthodes statistiques et d’intelligence artificielle.
Comme pour les autres lots de tâches, les données collectées permettent de répondre à de nouveaux questionnements des entraîneurs. Les données d’état de forme peuvent, par exemple, permettre d’estimer les délais d’adaptation nécessaires et la charge mentale imposée aux sportifs qui se déplacent régulièrement sur plusieurs fuseaux horaires, générant des dérèglements chronobiologiques.
Lot de tâches transversal 1 : Accélération de l’analyse de l’imagerie musculo-squelettique
et vidéos sans marqueurs↑
L’objectif de ce lot de tâches transversal est d’utiliser des techniques de vision artificielle et d’apprentissage automatique pour accélérer l’analyse (i) des méthodes d’imagerie des muscles squelettiques et (ii) des mouvements corporels.
Afin de répondre au premier objectif, le CEA a développé un logiciel d’annotation intelligent d’images musculaires obtenues par échographie. Cette technologie permet d’accéder à des paramètres qui décrivent la géométrie du muscle, notamment l’épaisseur de leurs enveloppes (aponévroses) ou encore la longueur des faisceaux de fibres musculaires, qui sont des indicateurs morphologiques qui peuvent être liés au risque de blessure (Michard et al., 2021).
L’équipe FULGUR a également fait évoluer les séquences d’élastographie par ultrasons, utilisées et décrites dans le lot de tâches 2, pour mesurer l’élasticité des régions musculaires particulièrement exposées aux blessures. En effet, cette méthode était jusqu’ici valide pour le corps (ou la partie centrale) du tissu musculaire. Or, les blessures touchent principalement les tissus tendineux (fascia, aponévroses, jonction myo-tendineuse). Une approche spécifique de caractérisation de ce type de tissus a donc été développée, afin d’évaluer l’élasticité de cette partie spécifique des muscles (Beuve et al., 2021).
En ce qui concerne la capture de mouvement basée sur de la vidéo sans marqueurs, l’objectif est de développer un modèle précis d’estimation du squelette en 3D à partir d’un système multi-caméras synchrone faiblement calibré et simple à installer (Galizzi et al., 2023). Des squelettes 3D sont estimés dans chacun des points de vue et fusionnés à l’aide d’un réseau de neurones. À partir du squelette 3D, des données cinématiques sont obtenues de manière non invasive : déplacement du centre de masse, temps de vol, temps de contact, vitesse et accélération angulaire, etc., qui peuvent être couplées avec les données de performance en sprint collectées dans le lot 1.
Ces avancées technologiques pourraient avoir un impact conséquent sur la capacité des entraîneurs à analyser la technique de sprint en temps réel sur la base d’indicateurs objectifs reflétant la cinématique du centre de masse et des articulations. Le caractère pleinement non invasif et la facilité de mise en place des caméras sont autant d’avantages qui confèrent un intérêt pratique déterminant dans l’application de la technologie. Elle permet d’envisager des applications en situation de compétition.
Lot de tâches transversal 2 : Transfert innovant de savoir à destination des acteurs
de la performance↑
L’objectif de ce dernier lot de tâches transversal est de s’assurer que l’ensemble des connaissances, outils et compétences développés dans le cadre du projet FULGUR bénéficie en premier lieu aux fédérations sportives impliquées dans le projet. L’ensemble du consortium FULGUR est donc mobilisé pour diffuser les savoirs et les connaissances auprès des acteurs de la performance sportive (sportifs, entraîneurs, préparateurs physiques, médecins, kinésithérapeutes, etc.), notamment au travers de la production et de l’explication des différents rapports mentionnés pour chaque lot de tâches, de la formation aux outils d’évaluation et de suivi de l’entraînement (par ex. sprint avec résistance motorisée, GPS, athlète 360), l’organisation et la participation à des rencontres et des séminaires ou encore à la rédaction d’articles scientifiques et techniques, etc.

Après quatre années, à l’issue du projet, de nombreuses données ont été collectées, comme l’illustre la Figure 6. Ces données, complexes à éclairer compte tenu des contraintes des sportifs des équipes de France, pour certaines toujours en cours d’analyse, donneront lieu à des publications scientifiques visant à repousser les limites des connaissances au service de la préservation de la santé et de l’optimisation de la performance des sprinters. Les connaissances nouvelles issues de ce projet seront ainsi disponibles pour d’autres sportifs (élites ou non). Au-delà des objectifs scientifiques, le projet FULGUR a permis aux fédérations impliquées de monter en compétence dans leur capacité à prendre des décisions éclairées par des données et des connaissances scientifiques pour l’aide à l’entraînement. La réussite de FULGUR résonnera dans la capacité des acteurs sportifs à intégrer les outils d’aide à la décision développés dans le cadre du projet, afin d’optimiser la performance en sprint et de réduire le risque de blessure chez les athlètes ayant participé aux Jeux olympiques de Paris 2024 et qui participeront aux futures olympiades.
Bibliographie
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Responsable scientifique : Gaël Guilhem ; coordinatrice : Caroline Giroux ; référents scientifiques : Jean-Benoît Morin, Jean Slawinski, Antoine Nordez, Giuseppe Rabita, Pascal Edouard, Alexis Ruffault, Antonio Morales-Artacho, Bertrand Luvison, Jean-Luc Gennisson ; collaborateurs : Antoine Couturier, Sébastien Legarrec, Michel Crema, Eve Tiollier, Laurent Navarro, Pierre Samozino, Lilian Lacourpaille, Sylvain Dorel, François Hug, Xavier Van Der Laan, Enzo Piponnier, Louise Piecuch, Diana Mateus ; post-doctorants et ingénieurs : Steve Beuve, Benjamin Caumeil, Charly Fornasier-Santos, Andras Hegyi, Enzo Hollville, Fatemeh Bagheri, Hugo Michard, Alexandre Amiot, Victor Galizzi, Jeanne Tondut, Robin Macchi, Anaïs Maurel, Thaïs Fischer, Éric Luneau ; fédérations : Christine Hanon, Hugo Maciejewski, Bertrand Valcin, Canelle Poirier, Benjamin Millot, Julien Piscione, Julien Robineau, Anthony Couderc, Rémy Louis, Alexandre Vanhoutte, Max Robert.